Quand Renaissance numérique moque les débats sur la loi Travail
Le président de renaissance numérique, Henri Isaac, vient de publier une synthèse d'une dizaine de pages sur les enjeux de ce qu'il appelle : la question du travail à l'ère digitale.
Sans pessimisme à outrance, ni catastrophisme sur le devenir du travail, il pose les questions et esquisse des pistes pour revoir les principaux outils de la protection sociale du salariat.
Car la plus grande erreur serait de préparer l'avenir en voulant sauver le passé. Ce n'est pas en amendant le salariat qu'on s'en sortira, il faut changer de perspective.
Christophe Bys
"Les transformations du travail appellent bien plus qu'une simple loi orientée vers le salariat ". Telle est la conclusion de la note rédigée par Henri Isaac, le président de Renaissance numérique, qui s'affiche aussi sèchement que les messages d'erreur d'antan "Syntax error", croit-on lire.
Le salariat n'est pas un horizon indépassable
Le texte d'une dizaine de pages qui précède énumère l'ensemble des mutations qui font que l'organisation du travail telle qu'on l'a connue pourrait bien rester une forme particulière. Le salariat n'était pas l'horizon indépassable, pas plus que la chute du mur de Berlin ne marquait la fin de l'Histoire. "C'est une erreur de jugement", prévient le président du think tank qui est aussi vice-Président de l'Université Paris Dauphine.
Par salariat, il faut entendre l'ensemble des institutions juridiques et sociales qui ont contribué à la société d'après 1945, soit une classe moyenne recrutée à moyen terme, consommant massivement et trouvant une forme de protection dans un système de socialisation de certaines dépenses (santé, retraite, éducation...).
la fin des clones, le triomphe de l'individu
Cette société est morte, insiste la note, notamment par l'émergence de nouveaux modes de travail qui échappe à l'institution clé du salariat : l'entreprise classique qui était le lieu où en massifiant la production apparaissait des gains de productivité. "La mise en données et la mise en réseaux du monde, accompagnées par une globalisation des échanges sont à l'origine de formes nouvelles de production, d'échange et de travail. "
Parmi les nombreux points abordés par cette note très synthétique, qui offre un tour complet de la question en peu de mots, il faut retenir un changement souvent oublié. Le capitalisme d'après 1945 repose sur une standardisation des tâches et des fonctions. C'est le monde des grilles salariales, des branches professionnelles... La révolution numérique étant aussi une révolution hyper individualiste, ces balises d'hier n'éclairent plus rien.
Relisez notre dossier Comment le numérique dévore le travail
Désormais le travail le plus productif au sens où il crée le plus de valeur est celui qui est en dehors de la norme. Celui qui fait gagner de l'argent à son entreprise n'est pas le salarié lambda qui pourrait être échangé par n'importe qui d'autre, celui-là même qui était la clé de voute de l'économie d'avant. "Désormais, les caractéristiques des individus importent pour l'employeur. Par conséquent, la séparation entre sphère privée et sphère professionnelle s'estompe puisque la valeur créée par un collaborateur dépend davantage de son capital social et cognitif que de sa capacité à appliquer des procédures standardisées ", affirme Henri Isaac.
Parallèlement, le numérique fait émerger de nouvelles formes de travail, sur lesquelles il n'est pas nécessaire d'insister : développement des plateformes collaboratives, frontière de plus en plus floue entre les rôles de consommateurs et de producteur, mais aussi formes implicites de travail, le fameux digital labor théorisé par Antonio Casilli. La conséquence de toutes ces mutations est la nécessité de revoir l'ensemble des institutions qui ont produit le salariat, car elles ne sont plus adaptées au monde, déjà bien émergé, issu de la révolution numérique.
Des institutions de plus en plus caduques
Trois domaines sont ébranlés : la rémunération, la protection sociale et la formation. Sur ces différents points, Henri Isaac met en avant une intéressante nuance évoquant la nécessité de passer d'une logique collective à une logique collaborative. L'heure n'est plus aux rustines, il faut changer de vélo !
Le risque est grand sinon de voir s'installer durablement une société duale avec des ultra insérés et des personnes hors du monde du travail, donc hors de la vie économique et des droits qu'elle ouvre. Le président de Renaissance numérique estime que le revenu universel peut être un élément de réponse, mais qu'il ne saurait être la réponse unique aux mutations du travail à l'heure du numérique.
Pour la protection sociale, la question essentielle tourne autour du fait qu'elle a été pensée pour des individus mono-actifs : salarié d'une entreprise une fois pour toutes ou artisan. Aujourd'hui, les parcours sont non seulement différenciés mais une même personne peut être à la fois salarié le jour et chauffeur indépendant le soir, ou cumuler une fonction alimentaire et commercialiser des produits artisanaux sur une plateforme... Les possibilités sont infinies.
Dans l'avenir, le passé pourrait faire un come back
Dans ce contexte, l'auteur rappelle que si une concurrence forte règne entre plateformes, ces dernières, pour s'attacher les meilleurs professionnels, seront incitées à leur proposer des "services additionnels". Paradoxalement, ce que ne dit pas l'auteur, c'est que si ce scénario se réalisait, ce serait finalement un retour à la logique de l'industrialisation. Nombre de bénéfices sociaux ont été octroyés par des capitaines d'industrie, qui n'arrivant pas à fixer la main d'oeuvre (d'origine paysane) durablement dans les usines, et ont dû consentir des avantages pour y parvenir. La légende d'acquis sociaux arrachés à la suite de luttes sociales est, en effet, incomplète.
Henri Isaac semble ne pas trop y croire : "Une labellisation des plateformes les plus vertueuses en matière sociale pour les offreurs pourrait accompagner le développement d'une protection sociale renouvelée et les inciter à développer de telles prestations sociales". A cette mutation, il ajoute la nécessité de revoir plus largement certaines normes, notamment en matière de crédit ou de logement. Toute la vie économique ne peut plus reposer sur l'existence d'un contrat de travail indéterminée, quand les formes de travail se multiplient tous azimuts.
Se former, c'est du travail
Enfin, il pose la question de la formation. S'il estime que le compte personnel d'activités ou de formation est une piste intéressante, elle lui semble insuffisante et propose d'entamer une révolution de la formation qui deviendrait une vraie formation permanente. A cet égard, il lie de façon originale la question du temps de travail à la question de la formation. Si la mesure du temps de travail hebdomadaire est pour une large partie dépassée à l'heure de la connexion permanente, il faudrait peut-être réfléchir à une nouvelle manière de comptabiliser le temps de travail à l'échelle de la vie professionnelle dans son ensemble en y intégrant le temps de formation, notamment "le temps de formation en situation de travail (et non en dehors du temps de travail)".
Derrière les pistes dessinées par Henri Isaac, l'auteur pose une question plus large qui est celle de la place du travail dans la société et l'économie numérique. Nombreux sont ceux qui sentent bien que la manière actuelle de l'appréhender n'est plus tenable. Le manque d'imagination pour trouver de nouvelles formes d'organisation est tel que tout se passe comme s'il suffisait de changer deux trois paramètres pour adapter l'existant, quand assure le président de Renaissance numérique, c'est à un véritable changement de paradigme qu'il faut se préparer.
Les autorités dépassées
En commençant par revoir la notion de travail elle-même que, par habitude, nous avons réduit à l'activité salariée ou marchande. Un des mérites de la note écrite par Henri Isaac est qu'elle pose les débats sereinement, en abusant parfois d'un vocabulaire universitaire qui n'est pas le plus à même à une large diffusion de ce petit texte passionnant. Reste un texte vigoureux qui pose les débats sans catastrophisme et qui, à défaut de proposer un texte ficelé, pose les quelques questions qui ne devront pas être éludées dans les mois qui viennent au risque de passer à côté de l'essentiel.
A la lecture de cette dizaine pages, complétée d'une très intéressante annexe qui décrypte plusieurs faits récents d'actualité sociale au regard de ces tensions entre ancien et nouveau monde, la loi El Khomri qui aura provoqué un débat de plusieurs mois, provoqué plusieurs manifestations plus ou moins fournies, apparaît pour l'auteur aussi efficace qu'un cautère sur une jambe de bois.
Ce n'est pas le salariat qu'il convient d'aménager, mais l'ensemble du système qui est à revoir. A ce titre, reconnaissons que les organisations syndicales et patronales sont à peu près aussi à côté de la plaque dans leur réflexion que les partis politiques, qu'ils soient dans la majorité ou dans l'opposition. Caramba, encore raté !
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