Que faire en cas de non respect d'un contrat de licence de logiciel ?

Pascal Agosti, avocat au sein du Cabinet Caprioli & Associés, se penche sur une décision récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne ayant trait à la nature de la responsabilité pour agir en cas de violation d’une clause d’une licence logicielle.

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Que faire en cas de non respect d'un contrat de licence de logiciel ?

Généralement, le droit d’utiliser un logiciel est concédé pour un usage spécifique via la conclusion d’un contrat de licence. Les éditeurs reprochent, à ce titre, fréquemment à leurs clients licenciés des actes constitutifs de contrefaçon en se fondant sur le non-respect du contrat. Dès lors, la nature de l'action - contractuelle ou délictuelle - permettant au titulaire des droits de propriété intellectuelle d'obtenir réparation en cas de non-respect des termes de la licence par un utilisateur est une question épineuse.

Quel ordre de responsabilité choisir ?

Tout d’abord, un petit rappel : le droit de la responsabilité civile demeure soumis au principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle. Cela signifie que l’existence d’un préjudice contractuel découlant de la violation d’une obligation impose d’introduire une action en responsabilité contractuelle. Sans lien contractuel avec le responsable, alors il faudra ouvrir une action en responsabilité délictuelle au profit de la victime. Pour le dire plus simplement, si un licencié a accompli des actes interdits par le contrat alors il commet une violation contractuelle. Si les actes en question ne sont pas visés par le contrat, il est contrefacteur. La source du fait dommageable se révèle donc déterminante.

La ligne de partage entre responsabilité délictuelle et contractuelle en la matière est donc difficile à trouver comme le démontre une jurisprudence française particulièrement instable.

Un grand imbroglio en France

En France, depuis son jugement du 6 novembre 2014 "Oracle c/ AFPA", le TGI de Paris considère qu'une telle action est de nature contractuelle, position confirmée dans un autre jugement rendu le 6 janvier 2017 dans une affaire opposant la société IT Development à Free Mobile par le même TGI mais pour laquelle la Cour d’appel de Paris dans une décision du 16 octobre 2018 s'était finalement montrée réservée quant à la nature de l'action de l'éditeur vis-à-vis du licencié qui ne respecte pas les termes de la licence et a soumis une question préjudicielle à la CJUE.

Dans le même ordre d’idée, la 3ème chambre du Tribunal de grande Instance de Paris avait à trancher dans l'affaire ayant donné lieu à son jugement du 21 juin 2019 et qui opposait la société Entr'ouvert à la société Orange. Elle avait estimé qu’une licence relative à un logiciel libre est un contrat et a ainsi jugé irrecevable l’action en contrefaçon. La violation des droits de l’auteur est sanctionnée par la contrefaçon, tout en jugeant que "les modalités particulières d’usage pour permettre l’utilisation du logiciel conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser sont aménagées, selon l’alinéa 2 de l’article L122-6-1 du Code de la Propriété Intellectuelle par contrat entre les parties." En l’occurrence, ce contrat était considéré comme "un contrat d’adhésion".

A contrario, une décision de la Cour d’appel de Versailles en date du 1er septembre 2015 renvoyait à la responsabilité délictuelle : "Toute utilisation d’un logiciel sans l’autorisation du titulaire des droits constitue une contrefaçon ; qu’en l’espèce, les logiciels ne peuvent être utilisés que, selon les termes du contrat, soit personnellement par la société Technologie et pour un nombre de huit utilisateurs, de sorte que son usage pour un service de bureau destiné à de nouvelles entités non spécifiées lors de la conclusion du contrat caractérise une utilisation au-delà des droits cédés et un acte de contrefaçon." La ligne de partage était donc la suivante : dès le moment où les actes excédaient l’étendue des droits concédés (y compris par des utilisateurs au-delà des quotas négociés contractuellement), la responsabilité délictuelle (et par là la contrefaçon) trouvait à s’appliquer.


"L’atteinte aux droits de propriété intellectuelle" vue par la CJUE

Le 18 décembre 2019, la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) répond à la question préjudicielle posée dans le cadre de l’affaire opposant IT Development à Free Mobile. La Cour considère que "la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion 'd’atteinte aux droits de propriété intellectuelle', au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national". "L’atteinte aux droits de propriété intellectuelle" évoquée dans la décision renvoie à la notion de contrefaçon au sens français du terme (Considérant 47).

Les deux voies sont donc ouvertes : action en responsabilité contractuelle et/ou action en contrefaçon. En effet, l’éditeur qui arguerait de faits distincts de responsabilité pourrait être contraint d’agir sur ce double fondement pour obtenir la réparation intégrale des préjudices.

Quelles conséquences ?

Un éditeur qui se place sur le terrain de la responsabilité contractuelle n’a pas à rapporter la preuve de l’originalité du logiciel, c’est-à-dire "la marque d’un apport intellectuel", lequel est caractérisé par la preuve "d'un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d'une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort résidait dans une structure individualisée" comme le précisait la Cour de cassation. Démontrer la violation du contrat de licence peut être plus simple que démontrer l’originalité d’un logiciel surtout s’il est considéré comme standard et par là insusceptible de protection au titre du droit d’auteur.

Le fait de choisir un type d’action ou un autre renvoie à des questions relevant de la stratégie judiciaire. Sans que cela soit exhaustif, la preuve rapportée lors d’une saisie contrefaçon ne semble pas pouvoir être utilisée si le demandeur entend agir dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle.

La juridiction compétente peut différer. En effet, sur un plan interne, seul un nombre limité de tribunaux judiciaires (nouveau nom du Tribunal de Grande Instance et du Tribunal d’Instance) sont compétents pour statuer sur l’action en contrefaçon d’un logiciel. Tandis que l’action en responsabilité contractuelle peut être portée devant les juridictions du domicile du défendeur ou celle du lieu de livraison de la chose ou du lieu d’exécution de la prestation de service. Il faudra pouvoir convaincre les juges de joindre les procédures, chose qui pourrait devenir particulièrement difficile en cas de clause attributive de juridiction.

En outre, dans une perspective purement communautaire, les corps de règles diffèrent selon que ce sera l’action en responsabilité contractuelle ou l’action en contrefaçon qui sera choisie. Cette décision s'applique à toute licence logicielle, y compris les licences libres. Encore faudra-t-il savoir qui dispose de l’intérêt pour agir sur un fondement autre que contractuel dans une Communauté libre ? En gros, qui est l’auteur de la licence qui pourrait agir sur le fondement de la contrefaçon ? Bref, une histoire qui ne fait que débuter…

Pascal Agosti, docteur en droit
Avocat associé chez Caprioli & Associés, société membre de JURISDEFI

Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Digitale.

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