Quel modèle économique pour le Cloud PVR, le service d'enregistrement dans le cloud ?
L’enregistrement vidéo dans le cloud, autrement appelé Cloud PVR, a le vent en poupe, et pour cause : tout le monde veut sa propre bibliothèque de contenus personnels, entièrement accessible partout, tout le temps, sur n’importe quel périphérique. Pour les opérateurs, rien à perdre et tout à gagner, sachant qu’il sera toujours plus facile de gérer une ferme de serveurs que des millions de box maltraitées chez Monsieur le particulier. Tous les ingrédients semblent donc réunis pour un happening réussi entre une demande déferlante et une offre technologiquement prête. Or si l’on s’attarde sur quelques gros titres de l’actualité judiciaire américaine en 2014, la valse de l’offre et de la demande semble, pour l’heure, s’être pris les pieds dans le tapis des royalties.
Au temps du VHS, les taxes se chargeaient, selon les pays, de rémunérer les ayant-droits sur les ventes de cassettes. Ces mêmes taxes ont réussi à suivre le PVR ("Personal Video Recorder", magnétoscope numérique) dans l’ère du tout numérique, exigeant leur dû sur les box, TiVo et autres disques durs. Et puis le cloud s’est dessiné à l’horizon, créant des zones d’ombre telles que soudain, l’impôt ne savait plus comment ni sur quoi se reposer. Exception faite de la Suisse, où la Suisa (équivalent de notre Sacem) parvient à collecter sans mal les droits du Cloud PVR auprès des opérateurs pour les redistribuer ensuite aux ayant-droits. Cherchez l’erreur.
Un sujet au coeur de l'actualité
Aux États-Unis, dans le procès qui l’opposait à Cablevision, Disney a finalement obtenu gain de cause : les ayant-droits n’ont strictement rien à gagner dans un modèle de type "copie partagée", alors point de Network PVR, ou alors en "copie unique". Traduction : imaginez un million d’utilisateurs enregistrant le même programme en même temps. Cela revient à condamner l’infrastructure à enregistrer ce programme un million de fois. L’addition a de quoi effrayer le câblo-opérateur américain moyen : un million d'abonnés x 100 Go de stockage moyen par tête = 100 millions de Go soit 100 Pétaoctets d’espace de stockage nécessaire pour satisfaire tout le monde. La migraine est à la hauteur de l’empreinte carbone.
Le verdict sonne comme une condamnation. D’autant plus amère quand on sait que dans un modèle de "copie partagée", on pourrait facilement diviser ce chiffre par 10 et que les technologies capables de mutualiser les ressources ne se contentent pas d’exister : elles sont faciles à déployer et génèrent des revenus qui n’ont, pour le coup, rien de virtuel.
Même musique du côté du procès de la start-up Aereo, dont les minuscules mais non moins téméraires antennes permettaient à ses détenteurs de regarder la télé en direct sur les appareils mobiles. Invention de génie pour les uns, "voleurs de signal TV" pour les autres ; et la Cour suprême des États-Unis de donner raison aux ayant--droits sauvagement privés de revenus. CQFD.
Des deux histoires, il serait facile pour l’oeil de ne retenir que le brin de paille qui cache la poutre. Car l’empreinte carbone des fermes de serveurs et la prolifération des antennes hors-la-loi ne sont rien comparé au vrai gâchis : celui d’un business model qui tâtonne et trébuche contre toute logique économique. Que demande le peuple ? Il ne saurait pourtant l’exprimer plus clairement : les utilisateurs ont déjà fait savoir à qui veut bien l’entendre qu’ils sont prêts à payer leur abonnement mensuel à un service d’enregistrement dans le cloud, et les initiatives ayant prouvé leur capacité à créer de la valeur sur un tel service ne manquent pas.
Vers de nouveaux business models
N’aurait-on pas mieux fait dans ces deux histoires, de rémunérer les ayant-droits plutôt que les fabricants de disques durs et d’antennes miniatures ? Mais on est surtout en droit de se demander ce qui aujourd’hui, dans le modèle suisse, est si difficile à reproduire chez nous ; et ce qui pourrait bien se passer si les ayant-droits s’ouvraient aux nouvelles technologies, si les business models étaient capables de les intégrer au lieu de faire comme si elles n’existaient pas.
À moins que ce ne soit au marché publicitaire de s’ouvrir en premier, histoire de créer, avec le concours de l’ironie du sort, encore plus de valeur sur des business models déjà validés par le marché. En effet, si Aereo dispose d’une antenne et d’un flux par utilisateur, qu’est-ce qui les empêche de diffuser une publicité différente pour chaque utilisateur ? Et si Cablevision n’a d’autre choix que de stocker deux contenus identiques, la publicité pourra toujours faire office de différentiateur apte à créer de la valeur.
De là à dire que les opérateurs auraient tout intérêt à méditer les concepts de "Targeted Ad Replacement" (publicité contextuelle personnalisée) et de "post-C3 window" (C3 est une unité de mesure utilisée par Nielsen pour quantifier la publicité diffusée lors des enregistrements dans les trois jours suivants un programme en direct), il n’y a qu’un pas. En arrière ou en avant ? Question de point de vue, encore une fois. Affaire à suivre, en tous cas.
Damien Lucas, co-fondateur et directeur technique d’Anevia
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