Quelles limites au droit au déréférencement par les moteurs de recherche ?

Chaque lundi, les avocats Eric Caprioli, Pascal Agosti, Isabelle Cantero et Ilène Choukri se relaient pour décrypter les évolutions juridiques et judiciaires nées de la digitalisation. Cette semaine, Eric Caprioli et Isabelle Cantero reviennet sur la réglementatoin en matière de déréférencement par les moteurs de recherche ? Alors droit ou pas droit ?

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Quelles limites au droit au déréférencement par les moteurs de recherche ?

Dans une société démocratique comme la nôtre, le droit au respect à la vie privée et le droit à l’information du public sont deux droits fondamentaux dont on ne présente plus l’importance. Or, ces deux droits peuvent apparaître en concurrence ou en contradiction l’un avec l’autre. Avec l’avènement de l’Internet et la multiplication des flux d’informations mis à notre disposition, la recherche d’une balance entre ces deux intérêts très souvent divergents a pris une nouvelle ampleur. L’exercice du droit au déréférencement auprès des moteurs de recherche en constitue une illustration d’actualité.

Le droit à l’oubli consacré par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)

Le conflit entre droit au respect de sa vie privée et droit à l’information du public a notamment été placé au cœur du célèbre arrêt "Google Spain" rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 13 mai 2014 à propos d’une demande de déréférencement sur un moteur de recherche. Cet arrêt constitue la première consécration jurisprudentielle d’un droit à l’oubli entendu de manière générale sur l’Internet. En l’espèce, un journal espagnol avait publié une annonce de vente aux enchères liée à une saisie en recouvrement du plaignant.

Quelques années plus tard, ce dernier constate qu’en tapant son nom sur le moteur de recherche Google, des liens renvoyant à cette annonce apparaissaient. Saisie d’un recours introduit par Google Spain et Google Inc., la Haute Juridiction espagnole décide de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la CJUE. Dans sa décision, la CJUE a consacré pour la première fois la notion de droit à l’oubli numérique qui se traduit par le droit au déréférencement. La Cour va en effet affirmer que "l’exploitant d’un moteur de recherche est obligé de supprimer de la liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne, également dans l’hypothèse où ce nom ou ces informations ne sont pas effacés préalablement ou simultanément de ces pages web, et ce, le cas échéant, même lorsque leur publication en elle-même sur lesdites pages est licite".

La Cour reste néanmoins prudente car elle affirme que « cependant, tel ne serait pas le cas s’il apparaissait, pour des raisons particulières, telles que le rôle joué par ladite personne dans la vie publique, que l’ingérence dans ses droits fondamentaux est justifiée par l’intérêt prépondérant dudit public à avoir, du fait de cette inclusion, accès à l’information en question » (Point 97).

Confirmation du droit au déréférencement en France

Par une ordonnance de référé en date du 12 mai 2017, c’est au tour du Tribunal de Grande Instance de Paris de faire droit à une demande de déréférencement sur un moteur de recherche. En l’espèce, un ancien mannequin assigne en référé la société Google France afin de faire déréférencer des liens renvoyant à des photographies publiées sur plusieurs sites sans son autorisation. Le Tribunal de Grande Instance de Paris fait droit à la demande de l’ancien mannequin en s’appuyant sur l’article 38 de la Loi Informatique et Libertés qui dispose "que toute personne physique peut s’opposer pour des motifs légitimes à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement".

Au regard de la jurisprudence Google Spain, le TGI rappelle, par ailleurs, que le respect de la vie privée et la liberté d’information et d’expression doivent se concilier afin de parvenir à un juste équilibre entre les deux intérêts. Dans le cas d’espèce, le TGI retient que la plaignante fait état de motifs légitimes pour sa demande de déréférencement, notamment en ce que la publication des photographies a été faite sans son autorisation et que la connotation érotique de celles-ci est susceptible de lui porter préjudice. Faisant droit à la demande de déréférencement de la demanderesse, le Tribunal ordonne à Google de déréférencer les cinq liens en cause.

Cette décision du TGI de Paris marque un nouveau pas vers la généralisation d’un droit à l’oubli mais sa mise en œuvre reste encore circonstanciée, compte tenu du peu de recul dont disposent les magistrats.

Dans l’attente de nouvelles précisions de la CJUE

Tout comme la décision "Google Spain", cette nouvelle solution pour un droit au déréférencement s’inscrit dans la lignée du nouveau Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD) qui entrera en application le 25 mai 2018. Ce Règlement consacre, en effet, la notion de droit à l’oubli à son article 17. Cependant, l’application pratique de ce droit reste à la fois empreint d’incertitudes et complexe à mettre en œuvre. C’est pour cette raison que le Conseil d’Etat a posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE le 24 février 2017 concernant la mise en œuvre du droit au déréférencement comme par exemple, l’application du droit au déréférencement aux données sensibles ou les critères que les moteurs de recherche doivent prendre en compte pour apprécier la licéité des publications litigieuses.

Les réponses de la CJUE sont très attendues et permettront sans aucun doute d’apporter quelques lumières sur cette notion encore sujette à interprétation.

Eric A. CAPRIOLI, Avocat à la Cour de Paris, Docteur en droit, Membre de la délégation française aux Nations Unies, Vice-Président du CESIN

Et

Isabelle CANTERO, Avocat associé, Responsable du pôle Vie privée et Sécurité de l’information, Caprioli & Associés, société d’avocats

Société d’avocats, membre du réseau Jurisdéfi

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