[Rapport] Pour l'Institut Montaigne, ubérisation ne rime pas avec précarisation... au contraire
L'Institut Montaigne vient de publier un rapport sur les travailleurs de plateformes. Il se prononce en faveur d'un nouvel équilibre entre les plateformes et les travailleurs, en donnant à ses derniers de nouveaux droits sociaux et en imposant des obligations aux premières. Car pour les auteurs, le maintien du statut d'indépendant est essentiel à l'économie à la demande et à ses plateformes qui ont créé de nouveaux services pour les consommateurs et donner le moyen de gagner un revenu à des milliers de personnes.
A propos des travailleurs de plateformes, tout le monde a une opinion. Mais peu nombreux sont ceux qui ont un avis nuancé et éclairé. S'il est une raison de lire le rapport que publie jeudi 11 avril l'Institut Montaigne sur le sujet, c'est bien celle-là : remettre en perspective à rebours des opinions toutes faites - "les chauffeurs Uber c'est les nouveaux prolétaires" versus "Uber c'est moderne, brûlons le Code du travail" - la transformation du travail induite par la fameuse ubérisation.
UN phénomène surestimé et méconnu
Dès le titre, l'ambition d'avoir un propos équilibré est là : "Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi". Ce que rappelle d'abord le rapport, c'est que la place prise par ce phénomène dans les débats et les médias n'est pas à la hauteur de l'ampleur réelle du phénomène. Par exemple, aux Etats-Unis, le travail indépendant pur est passé de 7.5 à 6.9% de la population active selon une étude très complète. Dommage pour tous les néos marxistes qui croient voir tous les matins de nouveaux damnés de la Terre dans les voitures Uber ! A l'inverse, en France, le travail indépendant serait en hausse depuis 2008 avec la multiplication des auto-entrepreneurs. 11,5% de la population active serait un travailleur indépendant.
Mais être indépendant ne signifie pas travailler pour une plateforme, loin de là. Ce que montrent les différentes études citées, c'est que le travail indépendant vient souvent en surplus d'une activité salariée classique. Et surtout que le travail sur les plateformes mélange des "choux et des carottes", comme on disait autrefois aux enfants apprenant les subtilités de l'addition. Quoi de commun entre le chauffeur de VTC qui le devient parce qu'il ne trouve rien d'autre ? L'étudiant qui livre à vélo parce que c'est "cool" ? Et le diplômé du supérieur qui observe que l'indépendance offre de cumuler gains monétaires et liberté d'organisation ? A peu près rien, mais il en faut plus pour dissuader les professionnels de la "pensée" critique.
La soif d'autonomie des indépendants
Un des grands mérites de cette étude (à la suite du remarque travail de David Menascé pour l'institut de l'entreprise) est d'avoir recueilli la parole des personnes concernées, celles qui choisissent de devenir indépendant. Et les uns et les autres plébiscitent l'autonomie apporté par le travail sur les plateformes. Travailler pour une plateforme pour nombre de personnes, c'est avoir une activité plutôt que de rester sans emploi. Le travail à la demande s'est développé sur la crise de l'insertion par le travail, notamment pour les personnes les moins diplômées/qualifiées.Plus étonnant, la lecture du rapport montre aussi que les livraisons à vélo sont plébiscités par les étudiants "plutôt geeks" pour reprendre les mots des auteurs : élèves ingénieurs ou des filières informatiques.
Pourtant le rapport de l'Institut Montaigne se garde bien de tomber dans un optimisme béat, où tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais il le fait de façon informée. La cour d'appel de Paris, qui a requalifié la relation entre un livreur à vélo et une plateforme, serait bien inspirée de lire l'analyse qui est faite de son arrêt. C'est sûrement la partie la plus passionnante de l'étude que celle qui analyse les pratiques concrètes des plateformes les plus contestables. Celles qui font l'objet des plaintes de certains chauffeurs.
Jusqu'où le système d'incitations est-il ou on de nature à rendre le travail indépendant davantage contraint ? Ou, pour le dire autrement, dans quelle mesure, le travail indépendant promis se heurte-t-il à l'algorithme tout puissant, ce manager invisible mais pourtant omniscient et à la présence permanente ? Là encore, le rapport montre bien les logiques à l'oeuvre. D'un côté des plateformes qui doivent à tout prix assurer la rencontre de l'offre et de la demande et utilisent des systèmes de bonus si nécessaire. Mais aussi des pratiques plus contestables comme la réservation des meilleurs créneaux, les bonus potentiels ou l'épineuse question des shifs (p 61 et s pour les lecteurs intéressés).
Rééquilibrer la relation plateformes indépendants
Car les auteurs n'entendent pas cautionner toutes les pratiques des plateformes, au contraire. Ils rappellent le déséquilibre existant entre la masse des indépendants d'une part et les plateformes et font des propositions pour rendre la relation plus équitable. Pour eux, rien ne serait plus dommageable à l'économie qu'une requalification de masse en salarié des indépendants. D'abord parce que la plupart de ces plateformes disparaîtraient, privant de revenus les indépendants qui y ont recours. Ce serait aussi un service de moins pour les personnes (qu'on se souvienne de la difficulté de trouver un taxi à Paris il y a seulement 10 ans). Mais surtout, et c'est un facteur qu'oublient souvent les critiques des plateformes de travailleurs, c'est redonner à l'employeur le pouvoir discrétionnaire d'embaucher ou non quand les plateformes ont ouvert leurs portes à des personnes qui accèdent au monde du travail et à un revenu en s'inscrivant sur une appli. (et en passant un examen qui ressemble à une barrière corporatiste pour les chauffeurs de VTC).
De ces analyses découlent fort logiquement la dizaine de propositions énoncées par les rapporteurs. Favorable au maintien du travail indépendant en en sécurisant la définition, ils se prononcent en faveur d'un nouvel équilibre. Cela passe par une ouverture des algorithmes en faveur des indépendants, de sorte que ceux-ci sachent davantage en fonction de quoi ils sont notés ou sanctionnés et éviter que les algorithmes ne discriminent les indépendants les moins accommodants aux besoins de la plateforme. De même, les auteurs se prononcent en faveur de la transmission des données collectées par les plateformes à un tiers neutre pour que les politiques publiques menées en faveur des indépendants soient davantage pertinentes.
DE NOUVEAUX DROITS, PAS L'ANCIEN STATUT
On notera aussi la proposition numéro 6 qui vise à créer un cadre pour un dialogue régulier entre les représentants des plateformes et ceux des indépendants ou la "portabilité du capital immatériel des travailleurs afin de favoriser leur mobilité et d'accroître leur degré d'autonomie, tout en favorisant la concurrence entre plateformes". En clair, il s'agit là d'autoriser un indépendant très bien noté à venir avec ce bon résultat sur une nouvelle plateforme si l'activité de la première ne lui convient plus. Les plateformes y regarderaient à deux fois devant la menace de perdre leurs meilleurs éléments.
Les auteurs énoncent aussi des propositions en faveur de la protection sociale des travailleurs des plateformes, qui pourraient devenir un laboratoire pour créer de nouvelles protections aux travailleurs indépendants. En la matière on est loin du désert maintes fois décrits par des idéologues ou des commentateurs peu aux faits de la réalité de la situation. Par exemple, l'Institut Montaigne encourage les actions en faveur de la formation des travailleurs indépendants des plateformes ou se déclare favorable "à l'instauration d'un droit universel à la complémentaire santé" ou propose de "soutenir une garantie chômage complète (partiellement obligatoire) et créer une garantie chômage "de crise" pour les indépendants (obligatoire)".
L'intégralité du rapport de l'Institut Montaigne peut être consulté ICI
Rapporteur général : Charles de Froment
Présidents du groupe de travail : Bernard Martinot et Laëtitia Vitaud.
Présidents du groupe de travail : Bernard Martinot et Laëtitia Vitaud.
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