Réforme du crédit à la consommation : l'épée de Damoclès qui menace le BNPL
Les fintechs spécialisées dans le paiement fractionné ont déjà affaire à une plus grande difficulté pour se financer, et à la hausse du coût du risque. Un autre danger pèse sur la croissance du secteur : la régulation.
Acheter un produit sur Internet en réglant son montant en plusieurs fois sans frais est une pratique qui s'est considérablement étendue depuis la crise sanitaire. Le paiement fractionné et différé, ou BNPL (Buy now pay later), est utilisé par 44% des Français selon un sondage récent d'Harris Interactive, et par deux tiers des moins de 35 ans.
Les commerçants le plébiscitent bien qu'il rogne leurs marges (ce sont eux, généralement, qui prennent les frais à leur charge), car il augmente les taux de conversion, les paniers moyens, la fréquence d'achat et donc les volumes. Les géants du secteur comme Klarna, Afterpay, et Scalapay, ainsi que les français Alma et Pledg, ont levé des sommes considérables pour se disputer le marché.
Empilement des crédits, fin de l'euphorie
Mais ces derniers temps, l'ambiance n'est plus à l'euphorie. Dans un contexte d'inflation, le surendettement guette les consommateurs dans certains pays. "C'est la rançon du succès : les crédits s'empilent, les mensualités s'accumulent, d'où la hausse du taux de défaut", commente Michel Diguet, CEO d'Algoan.
Au deuxième semestre 2021, les pénalités de retard représentaient 12% du chiffre d'affaires d'Afterpay. L'entreprise australienne a creusé ses pertes en partie à cause des charges de dépréciation de créances – la "mauvaise dette" – qui ont été multipliées par 2,4 en 6 mois. Pour le néo-zélandais Laybuy, les pénalités de retard représentent plus de 40% des revenus. Quant au suédois Klarna, il a provisionné au second semestre 2021 62 millions d'euros (+67% sur un an) pour créances douteuses, alors que le volume des transactions progressait de 42%.
La part d'impayés grimpe partout, motivant les velléités de régulation du secteur. Aux Etats-Unis, un rapport de la Harvard Kennedy School recommande de durcir la réglementation sur le BNPL, qui conduit les jeunes consommateurs à s'endetter. Au Royaume-Uni, où le surendettement touchait déjà une personne sur six avant la pandémie, la Financial Conduct Authority (FCA) a entamé un travail préparatoire à une réglementation. Et en Europe, la Commission européenne planche sur la réforme de la directive sur le crédit à la consommation, qui devrait à l'avenir inclure le BNPL.
Aujourd'hui, cette facilité de paiement n'entre pas dans le cadre de la réglementation. En France, les petits crédits de moins de 200 euros et de moins de 90 jours passent sous les radars de la loi. C'est également le cas pour d'autres formes de crédit, comme les cartes à débit différé et les découverts de moins d'un mois. Ces encadrements plus stricts constituent un risque significatif pour les plateformes de BNPL, qui subissent déjà de plein fouet le retournement de conjoncture.
Les pistes de la réforme
Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, pour qui "le paiement fractionné est un vrai sujet de préoccupation", avait fait suite au rapport Chassaing d'octobre 2021 sur le surendettement en glissant que l'objectif serait de faire adopter la révision de la directive européenne pendant la présidence française de l'Union. Mais ce ne sera pas le cas. L'adoption du texte pourrait intervenir fin 2022.
Quelles sont les pistes de la réforme, en l'état actuel des discussions ? "La Commission propose que le texte couvre toutes les formes de crédit, quels qu'en soient le montant et la durée. Toutes les formules de paiements seraient incluses dans la directive révisée. Cela signifierait qu'il faudrait étudier de la même façon un crédit de 500 euros sur trois mois et un emprunt de 20 000 euros sur 36 mois. La directive prévoit également d'imposer des plafonds de taux dans les Etats ou il n’y en pas, sur le crédit à la consommation."
"L'objectif est de mettre en place des règles du jeu équitables. Car aujourd'hui, les fintechs font des opérations qui relevaient du monopole bancaire sans être régulées. Des amendements ont cependant été initiés pour introduire plus de proportionnalité, et une information précontractuelle allégée pour les crédits d'un petit montant et de courte durée", nous explique Isabelle Guittard Losay, directrice des affaires publiques et des relations institutionnelles chez BNP Paribas Personal Finance, qui exploite la marque Cetelem.
Équilibre entre protection et expérience client
Le risque, si les contraintes deviennent trop importantes, serait que les commerçants cessent de proposer cette option. C'est pourquoi la fédération E-commerce Europe a demandé à exclure le BNPL du champ d'application de la directive. En effet, si le BNPL est traité comme un crédit à la consommation, les prêteurs devront vérifier la solvabilité des emprunteurs avec des méthodes plus "intrusives" et plus sélectives. Les taux d'acceptation baisseraient.
D'une part, "on risque d'exclure beaucoup de gens du système, même si ceux qui seront dedans seront très protégés", analyse Louis Chatriot, le CEO Alma. D'autre part, si le BNPL a autant de succès, c'est qu'il s'intègre beaucoup mieux dans le processus d'achat qu'un crédit Cetelem ou Cofidis. "J'ai peur que l'on ait à choisir entre la protection et l'expérience client. 80% des gens à qui on demande l'accès à leurs comptes abandonnent leur panier", poursuit le patron de la start-up française.
L'open banking, une solution ?
Michel Diguet, le CEO d'Algoan, estime plutôt le taux d'abandon entre la moitié et les deux-tiers des consommateurs sur le 3 ou 4 fois sans frais. Cependant il reconnaît que l'analyse de solvabilité via l'open banking, la spécialité de sa société et selon lui le seul moyen de faire du scoring en temps réel, est plus contraignante. Dans le parcours client, cela implique de connecter son compte bancaire. Sur mobile, c'est généralement assez facile : l'application de la banque demande simplement une autorisation. Cependant, parfois cela nécessite d'entrer ses identifiants bancaires et c'est ce que l'on appelle dans le jargon un "irritant".
Actuellement, les vérifications réalisées par les acteurs du BNPL pour un paiement fractionné en 3 ou 4 fois sans frais sont très légères. Nom, prénom, email, téléphone, et numéro de carte bancaire. "Cela suffit aux algorithmes pour lutter contre la fraude, par exemple en repérant un numéro de téléphone ou une adresse email qui viennent juste d'être créés, ou en analysant le comportement sur le site marchand. Mais pas à faire du scoring", selon Michel Diguet. Le patron de la start-up confie que la plupart des acteurs français du BNPL utilise déjà sa solution, mais surtout pour les durées de crédit à partir de 10 mois.
Via l'open banking, il est possible d'aller fouiller les données issues des relevés de compte (revenus, charges régulières, crédits en cours…), et d'utiliser le machine learning pour analyser le comportement du consommateur (tendance à la stabilité du solde, à s'enfoncer dans le rouge, capacité à adapter sa consommation à ses revenus…), afin d'avoir une meilleure analyse du risque.
Pression sur les taux d'acceptation
Les acteurs du BNPL ne sont cependant pas les seuls à blâmer pour la taille de leur tamis. Ce sont les commerçants qui leur demandent des taux d'acceptation très élevés, nous ont expliqué les professionnels que nous avons interrogés. "Le BNPL a complètement changé la logique du crédit, notamment en point de vente. Aux yeux des commerçants, il est en train de devenir un mode de paiement", observe Yves Tyrode, directeur général Digital & Payments chez BPCE. Mais malgré les apparences, cela reste du crédit.
La réforme du crédit à la consommation permettrait de remettre de l'ordre dans les pratiques. Elle est en ligne avec les recommandations d'un rapport de Finance Watch, publié en mars 2022, qui suggère de renforcer l'analyse de solvabilité, l'information précontractuelle, et d'élargir le champ de la régulation aux crédits en dessous de 200 euros et au courtes durées.
Vers la consolidation du secteur
Elle pourrait également rebattre les cartes du marché, en faveur des acteurs plus traditionnels du crédit, qui ont accès au fichier des incidents de paiement géré par la Banque de France et sont déjà régulés. Au sein des établissements de crédit spécialisés, la croissance du BNPL se chiffre à +39% entre 2019 et 2021, dans un marché du crédit en recul de 0,1% sur la même période. Il ne faut pas oublier qu'Oney, par exemple, qui appartient à BPCE, est l'un des plus gros acteurs du BNPL en France.
Cela dit, le projet de réforme dans sa mouture actuelle ne satisfait personne. "Nous n'étions pas demandeurs d'une révision de la directive. Les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les pays nordiques ont des niveaux de surendettement élevés mais en France, le surendettement a été divisé par deux depuis 2014, et les consommateurs sont déjà très protégés. On assiste davantage à l'explosion du poids des charges courantes qu'à une explosion des crédits à la consommation", juge Isabelle Guittard Losay de BNP Paribas Personal Finance.
Une chose est sûre, les réformes en Europe, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pourraient sonner le glas des sociétés les plus en difficulté dans la situation économique actuelle, et accélérer la consolidation du secteur.
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