Renault investit 25 millions d'euros dans un simulateur pour la voiture autonome

Renault annonce 25 millions d'euros d'investissement pour créer un simulateur immersif de pointe. Il servira au constructeur à étudier le comportement et les réactions des conducteurs face à la voiture autonome, en complément de la simulation numérique et des essais sur route. Explications avec Olivier Colmard, vice-président de la simulation numérique et de la gestion du cycle de vie produit chez Renault.

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Renault investit 25 millions d'euros dans un simulateur pour la voiture autonome

Le groupe Renault a annoncé le 7 septembre un investissement de 25 millions d'euros pour développer un nouveau simulateur de conduite. Cette déclaration a eu lieu lors de la Driving Simulation Conference 2017, qui se déroule à Stuttgart du 6 au 8 septembre. Baptisé ROADS (pour Renault Optimization Autonomous Driving Simulator), ce simulateur dynamique et immersif est principalement motivé par l'émergence du véhicule autonome.

Le système sera construit par Autonomous Vehicle Simulation, une coentreprise de Renault (à hauteur de 35%) et Oktal, créée en juillet. Il sera installé dans un nouveau bâtiment de 2000 m2 au coeur du technocentre de Guyancourt (78). Renault prévoit de l'inaugurer en 2019. La construction du bâtiment coûtera 5 millions d'euros, le simulateur en lui-même représentant un investissement de 20 millions d'euros.

Reproduire une expérience de conduite la plus réaliste possible

ROADS sera constitué d'un dôme 360° de 15 mètres de diamètre avec une image 3D ultra-haute définition et un habitacle de véhicule entièrement équipé, avec des systèmes de suivi des yeux et de la tête. Des voitures entières pourront entrer et sortir du simulateur en quelques minutes selon les besoins. Le tout sera monté sur un héxapode, c'est-à-dire une plate-forme soutenue par six pistons pour reproduire des sensations de conduite plus réalistes. L'héxapode sera quant à lui placé sur des rails d'une trentaine de mètres sur deux directions, qui pourront reproduire des accélérations allant jusqu'à 1G et des vitesses de 9 m/s dans les directions longitudinales et latérales.

Les conducteurs arriveront sans voir l'envers du décor pour maximiser le réalisme. "Nous voulons créer une charge cognitive semblable à celle d'une vraie voiture, explique Olivier Colmard, vice-président de la simulation numérique et de la PLM (gestion du cycle de vie produit) chez Renault. Les conducteurs arriveront par un couloir et le système reproduira un garage. Puis la porte s'ouvrira et l'expérience pourra commencer. Nous testons le comportement du conducteur, mais aussi sa pression artérielle, sa peur. Nous avons des psychologues qui analysent ses réactions."

La voiture autonome sera testée à 99% par la simulation numérique

Le simulateur sera principalement utilisé pour mettre au point le futur système de conduite autonome de Renault. "Le nombre de systèmes d'aide à la conduite (ADAS) va exploser d'ici à 2018. Nous allons passer de 12 à 30 systèmes par véhicules, la réglementation nous l'impose. Cela se répercute en nombre de tests : de 85 aujourd'hui, il en faudra 290. C'est impossible à effectuer avec de simples essais physiques. Et c'est encore plus radical pour le véhicule autonome. Nous recherchons une fiabilité extrême, avec un risque de l'ordre de 0,000000001%. Pour y parvenir, il nous faudra faire des milliards de kilomètres, et environ 250 millions de kilomètres utiles après optimisation. 99% de ces essais seront fait en simulation numérique pure (par des systèmes de calcul haute performance), avec uniquement 1% effectué en roulage réel," détaille Olivier Colmard.

Le constructeur investit lourdement dans le calcul haute performance pour répondre à ces besoins en simulation. "Nous avons actuellement 500 teraflops de puissance à l'heure actuelle, et nous dépasserons le pétaflop d'ici 2 ans", poursuit-il. Concrètement, seuls quelques millions de kilomètres seront effectués sur pistes.

La relation du conducteur au véhicule autonome est au coeur des préoccupations

En comparaison, le simulateur dynamique ROADS ne fera rouler les véhicules que sur quelques centaines de milliers de kilomètres, mais sur des scénarios très complexes et à forte valeur ajoutée. "Le simulateur nous sert à vérifier que ce que fait la voiture est humainement acceptable, que le style de conduite ne fait pas peur (par exemple en oscillant légèrement sur la route alors qu'on roule entre deux camions), que cela n'est pas frustrant (si le véhicule se fait doubler par tout le monde)...", reprend Olivier Colmard.


"Nos simulations se concentrent en particulier sur l'interface homme-machine au coeur du passage de relais entre la voiture et le conducteur." Comment signaler au conducteur qu'il doit reprendre le contrôle ? Comment s'assurer qu'il n'ignore pas le signal ? "Nous avons testé des interfaces qui fonctionnaient bien au début, et puis nous nous sommes rendu compte qu'avec le temps, à force de répétition, ils avaient moins d'effet. Nous avons dû repenser le système. Il est impératif pour nous de garantir l'efficacité de cette interface." Le constructeur réfléchit notamment à implémenter des technologies de réalité augmentée dans l'habitacle pour mieux capturer l'attention du conducteur. A l'heure actuelle, il se déclenche une minute avant la sortie de la zone d'autonomie, pour laisser le temps au conducteur de se préparer.

Simuler pour la conception et pas seulement pour les tests

Outre ces spécifications de pointe, ROADS se différencie des simulateurs dynamiques conçus jusqu'ici par l'usage que Renault compte en faire. "Les autres constructeurs, comme Daimler, dont le simulateur date de 2010, ou Nissan, qui va mettre le sien en oeuvre d'ici la fin d'année, s'en servent surtout pour faire des essais. Avec ROADS, nous ferons de la conception." Renault continue ce faisant une tendance qui avait débuté avec son précédent simulateur dynamique, Ultimate, inauguré en 2005. Il avait notamment aidé à la conception des systèmes ADAS.

"Nous interviendrons le plus tôt possible dans le cycle de vie afin d'être le plus agile possible dans la conception. Nous pourrons modifier un modèle et le re-tester dans la foulée, sans construire de prototype. C'est un gain de temps énorme et cela nous permet aussi d'étudier beaucoup plus de concepts." Renault avait déjà passé un cap important lors de la création de l'Alpine A110, qui s'est faite intégralement en numérique (à l'aide des systèmes de réalité virtuelle du groupe), sans aucun prototype physique.

Du système d'aide à la conduite à la voiture autonome

 

Le déclencheur pour Renault dans son choix d'investir dans la simulation a été la nécessité de conserver une note de 5 étoiles pour le freinage d'urgence en cas de détection de piéton auprès d'EuroNCAP, le programme européen d'évaluation des nouveaux véhicules. "Il fallait faire un million de kilomètres pour le valider, tout en s'assurant qu'il n'y aurait pas de freinages intempestifs, révèle Olivier Colmard. Impossible de réitérer cette distance sur route à chaque modification du système. Nous avons rejoué la simulation 12 fois pour le nouveau Scénic, soit 12 millions de kilomètres parcourus."

La voiture autonome doit redonner du temps à l'utilisateur

Le terme "voiture autonome" est utilisé à tort et à travers ces dernières années et pour désigner des véhicules aux capacités souvent très différentes. Renault se veut pragmatique. Le constructeur n'est pas intéressé par un système qui demanderait au conducteur de rester attentif en permanence, prêt à reprendre la main à tout moment. "Cela n'a aucun intérêt. Le client est stressé et doit rester concentré sur la route... sans avoir le plaisir de la conduite. Pour nous, la vraie valeur, c'est de redonner du temps à l'utilisateur, pas de lui demander encore plus d'attention." Dans les faits, cela veut dire une conduite 100% autonome sur certains segments de route spécifiques, comme des portions d'autoroute ou certains trajets bien délimités dans les zones urbaines. "Lorsque vous arriverez dans une zone gérée par le système, la voiture vous indiquera que nous sommes prêts à prendre le contrôle." Renault espère commercialiser ses premiers modèles autonomes d'ici 2022 ou 2023.

La connectivité, composante essentielle du véhicule autonome

 

Pour Renault, l'avènement de ces voitures autonomes nécessitera forcément une mise à niveau des infrastructures. "Pour nous le véhicule du futur sera électrique, autonome et connecté. Sans connectivité, l'autonomie n'est pas envisageable", déclare Olivier Colmard. La voiture pourra bien sûr toujours rouler, même sans connexion, mais il faudra réduire le plus possible ces cas de figure. Exemple typique : la voiture arrive à un péage, elle doit savoir quelles bornes sont ouvertes et fermées. Ce n'est pas faisable au dernier moment, juste avec une caméra. Même chose pour un accident, il faudra prévenir les véhicules à l'avance.

 

"C'est un enjeu de ville connectée, et les bénéfices sont nombreux, reprend Olivier Colmard. Nous avons fait des mesures : 10 à 20% de voitures autonomes réduisent fortement le taux d'accidents et même d'embouteillages, car elles conduisent avec plus de fluidité. Nous le simulons aussi. Nous travaillons avec les acteurs de ce milieu ainsi qu'avec les autres constructeurs, comme Daimler ou Ford. La communauté automobile doit s'accorder sur des standards."

 

Une simulation basée sur trois modèles

La simulation chez Renault s'appuie sur trois modèles : le modèle situationnel (le scénario de conduite), le modèle du véhicule et le modèle humain. Le modèle humain aura pour but de garantir le confort et la confiance du conducteur. "Il nous faut le modèle du véhicule parfaitement exact, le jumeau digital total. Cela vient directement de l'ingénierie. Mais il faut le valider, le tester, le régler dans les détails. Pour cela il nous faut des scénarios. Nous travaillons sur des dizaines de milliers de cas d'usage, et nous générons entre 5 et 10 millions de scénarios comprenant d'infimes variations pour étudier la réaction du système de conduite autonome. On fait varier la météo, la circulation, le temps de réaction de chaque voiture..."

Les scénarios utilisés par la simulation sont basés sur des situations bien réelles. "Nous nous appuyons sur les roulages en physique pour déterminer les cas d'usage, en plus de ceux que nous impose la réglementation. Nos conducteurs auront un bouton pour taguer des situations à problème afin que nous puissions les réinjecter par la suite. Nous constituerons ainsi un capital de scènes sur lesquelles nous appliquerons des variations à l'aide de techniques de machine learning." L'avantage de la simulation en HPC est aussi qu'elle fournit à Renault des boucles courtes pour modifier ses systèmes, leur faire faire un million de kilomètres et vérifier qu'un problème est réglé ou qu'un autre n'est pas apparu.

Simuler pour convaincre les régulateurs... et les tribunaux

L'autre élément essentiel est la capacité de pouvoir rejouer les accidents s'ils se produisent un jour. "Le simulateur va nous servir à démontrer les capacités de nos voitures aux instances régulatoires pour les convaincre des bienfaits de ces technologies. Par exemple, sur le fait qu'en cas d'accident grave le système pourrait sauver des vies. Ce ne sont pas des scénarios que nous pouvons démontrer sur piste avec de vrais pilotes." De la même manière, les scénarios à risque, notamment à haute vitesse, peuvent être validés sur simulateur avant d'être confiés aux pilotes.

L'aspect légal rentre aussi en ligne de compte. "Nous pensons déjà aux éventuels procès lors des premiers accidents. Nous devrons être en mesure de rejouer la scène pour prouver que le système n'est pas en cause. Nous pourrons déterminer si le meilleur conducteur du monde aurait pu éviter l'accident s'il avait été au volant ou s'il s'agissait d'une situation impossible." Pour ce faire, les véhicules enregistreront en permanence de grande quantités de données sur leur statut et leur environnement. "De la même façon, nous rejouons en amont les situations qui ont posé problème à nos pilotes lors des essais physiques."

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