Scaleway claque la porte du projet de cloud européen Gaia-X
Gaia-X : stop ou encore ? Pour Scaleway, c'est fini. La filiale d'Iliad ne renouvellera pas son adhésion à l'association dont l'objectif est de promouvoir un cloud européen. Pour OVHcloud, c'est justement le moment de ne pas lâcher, alors que l'omniprésence des acteurs dominants ralentit le projet..
Scaleway a annoncé le 18 novembre 2021 son intention de ne pas renouveler son adhésion à Gaia-X en 2022, une association portant l'ambition de proposer des offres européennes de cloud. "Nous n'y croyons plus", se justifie Arnaud de Bermingham, président et fondateur de Scaleway, auprès de L'Usine Digitale. "Nous préférons nous concentrer sur notre vélocité et sur notre capacité à recruter les meilleurs talents plutôt que d'user le temps de nos ingénieurs dans des groupes de travail qui sont très largement aux mains des acteurs dominants et qui font en sorte que tout aille très lentement ou soit très complexe", argue-t-il.
Le fournisseur de cloud français, filiale d'Iliad (Free) qui revendique plus de 100 000 clients, est l'un des membres fondateurs de cette association. Sa décision intervient alors que le deuxième sommet annuel de l'association, qui se déroulait à Milan les 18 et 19 novembre, a donné lieu à une polémique relative au sponsoring de l'événement par Huawei, Alibaba, Microsoft et AWS. Que des acteurs non-européens.
D'initiative franco-allemande, Gaia-X vise à proposer une offre cohérente de cloud computing européen en recensant les infrastructures et les services autour de critères bien précis. L'association fonctionne avec des groupes de travail répartis par grands thèmes sélectionnés en fonction des besoins identifiés du marché. Chez Scaleway, "5 à 6 ingénieurs" sur 400 collaborateurs (dont la moitié sont des ingénieurs) étaient dédiés à Gaia-X.
Des tensions dès le démarrage
Mais, dès le début, "il y avait un alignement sur les grandes lignes du projet, moins sur la façon de faire", raconte Arnaud de Bermingham. Premier problème : la constitution du conseil d'administration de l'association. Le choix des membres était particulièrement important puisqu'il s'agit de l'organe décisionnel de Gaia-X.
Le président de Scaleway raconte s'être "fâché assez fort" pour que le "board" n'intègre pas des "acteurs dominants". Sans citer de nom, il fait ici référence aux principaux acteurs du cloud : Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud, qui captent 69% du marché européen, d'après une étude de Synergy Research Group. "Nous avions déjà menacé de partir à cette époque puisqu'il y avait de fortes dissensions, confie-t-il. Nous souhaitions que le board reste dans les mains d'acteurs européens à capitaux européens."
Les entreprises non européennes omniprésentes
Or, ce n'est pas ce choix qui a été finalement fait. Sur 64 candidats, 24 personnes ont été retenues dont sept femmes. Aux côtés de Frederic Etheve (OVHcloud), Aude Gauthier-Moreau (BNP Paribas), Martine Gouriet (Électricité de France), Vincent Guesdon (Orange), des associations représentatives du secteur ont également été élues. Parmi lesquelles on trouve DigitalEurope et le Cloud Infrastructure Services Provider In Europe (CISPE), qui comptent parmi leurs membres des grandes entreprises technologiques étrangères, telles que AWS, Apple, Google, Huawei...
La présence de providers non européens de cloud ne s'arrête pas là. Parmi les plus de 300 membres de Gaia-X, on retrouve Salesforce, Palantir, Oracle, Palo Alto, Microsoft, Amazon ou encore Google. Ce qui fait dire au président de Scaleway que "ces acteurs dominants sont largement indirectement représentés partout : dans les groupes de travail, à travers les membres du board...".
Cette situation a été très critiquée au point que le French Gaia-X Hub – qui rassemble les acteurs du hub français – a tenté de clarifier la situation dans une tribune publiée dans Le Monde le 6 mai 2021. Bernard Duverneuil, président du Cigref (une association de grands acteurs publics pour le numérique), et Gérard Roucairol, président honoraire de l'Académie des Technologies, y expliquaient que l'adhésion d'une entreprise à l'association européenne "ne dit rien sur l'inscription" de ses services "au catalogue de services labellisés Gaia-X".
La question de l'extraterritorialité du droit américain
En effet, pour être inscrit dans le catalogue, l'offre proposée par l'entreprise doit être labellisée par Gaia-X à travers le respect d'un cahier des charges bien précis. L'une des problématiques principale est l'extraterritorialité du droit américain depuis l'invalidation du Privacy Shield. A ce sujet, Hubert Tardieu, président du conseil d'administration de Gaia-X. avait révélé que l'association était en contact avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Celle-ci appelait Gaia-X à "inventer un label qui lui permettrait de s'assurer que les données ne peuvent pas quitter le territoire européen".
Par conséquent, dans un certain temps, il est totalement possible que des fournisseurs américains et chinois soient toujours membres de Gaia-X mais n'aient aucune de leurs offres inscrites au catalogue. Ainsi, "ils seront là un peu pour écouter ce qu'il se passe et pour sentir le vent", détaillait Hubert Tardieu.
Mais alors pourquoi accepter l'adhésion de telles entreprises si in fine elles n'apportent rien ? C'était indispensable, arguait Hubert Tardieu. L'un des objectifs de Gaia-X est de favoriser le partage des données entre les écosystèmes. Pour que cela soit possible, "les données doivent être déjà dans le cloud". Or, "75% de l'offre cloud est faite par les Gafa. Par conséquent, ne pas les avoir à bord nous condamne à être un acteur qui complémente une offre dont il n'a pas le contrôle", ajoutait-il.
Une dangereuse lenteur sur un marché galopant
D'ailleurs, pour Arnaud de Bermingham, le problème n'est pas tant la présence d'acteurs non européens au sein de Gaia-X, que "la complexité induite par les acteurs dominants en vue de faire en sorte que l'initiative soit la plus lente possible et de protéger leurs propres intérêts". Or, en la matière, le temps est précieux : "la vitesse de Gaia-X n'est pas la vitesse du marché du cloud qui représentera d'ici deux ans plus de 300 milliards de dollars". Et l'Europe n'a plus de temps à perdre.
Le président le reconnaît : les entreprises américaines "ont évidemment un écosystème beaucoup plus riche". Cette situation s'explique par l'adoption retardée du cloud en Europe "de près de 10 ans" par rapport aux Etats-Unis. "Les acteurs américains ont de la croissance depuis au moins 15 ans. Nous, nous avons travaillé pendant des années avec presque aucune croissance", raconte-t-il.
Proche de Google Cloud, OVH défend Gaia-X
Mais certains membres de Gaia-X portent une vision beaucoup plus optimiste à l'image d'OVHcloud, également membre fondateur. Dans un communiqué en réaction à la décision de Scaleway, l'entreprise roubaisienne explique que c'est "le moment où il ne faut pas baisser les bras" mais "au contraire, intensifier les efforts car nous sommes à la croisée des chemins". Elle ajoute que "c'est maintenant et dans les mois qui viennent que se joue l'avenir de l'un des secteurs européens les plus prometteurs".
La position d'OVHcloud n'a rien de surprenant. En effet, il a signé un partenariat avec Google Cloud en novembre 2020 dont l'objectif est de proposer les services du géant américain tout en assurant que les données soient stockées sur les serveurs de l'entreprise française. Une offre qui répond à l'ambition gouvernementale de permettre aux entreprises américaines de commercialiser leurs offres sous forme de licences accordées à des hébergeurs français. Orange a ainsi signé avec Microsoft et Thales avec Google.
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