Start-up, le prototype de votre objet connecté est prêt ? 95% du chemin reste à parcourir
Quatre pure players des objets connectés ont partagé leur parcours (tortueux) du prototypage à la commercialisation, lors du deuxième Congrès des objets connectés L'Usine Digitale. Ils livrent leurs conseils pour éviter les pièges et désillusions.
Sylvain Arnulf
Hardware is hard ! Concevoir un objet connecté et le commercialiser s'apparente à un parcours du combattant, de l'aveu de quatre acteurs français du marché, interrogés lors du deuxième Congrès des objets connectés L'Usine Digitale. Pas question pour eux de dissuader de nouvelles start-up de se lancer, l'idée est plutôt de les prévenir qu'à chaque étape, les pièges sont nombreux.
Votre prototype est fonctionnel ? Vous pouvez fêter ça, mais les ennuis ne font que commencer.
La simplification des méthodes de prototypage est une "illusion" qui ne doit pas éblouir les start-up, prévient Rafi Haladjian, pionnier des objets connectés et fondateur de Sen.se. "Cette première phase de conception peut paraître facile et légère, même si elle demande une grande diversité de compétences, mais c'est un leurre, confie –t-il. Quand le prototype est fini, c'est à peine 5% du chemin qui est parcouru. Le pire reste à venir".
En matière d'industrialisation et de "design for manufacturing", le diable est dans les détails, insiste-t-il. "Définir la couleur ou le niveau de transparence d'un plastique, ça peut être très long". "Fabriquer un moule, même à l'ère de l'impression 3D, ça prend au minimum six semaines et quand il sort, rien ne dit qu'il marchera", ajoute Jean-Marc Prunet, PDG de Myfox, spécialiste de la sécurité de la maison. "Le processus est simplifié mais cela reste lourd".
De quoi surprendre des créateurs de start-up venant du digital "où tout semble beaucoup plus facile, sans frottement, comme en apesanteur", commente Rafi Haladjian. "Le soft, c'est magique, alors que dans le hardware, tout n'est que frottement. Les start-up IoT doivent donc acquérir cette double culture : l'alliance du bit et de l'atome, d'univers diamétralement opposés".
Il y a aussi des étapes dont la lourdeur est sous-estimée et qui sont loin d'être des promenades de santé, comme la certification du produit. "Je peux vous dire que vous allez faire beaucoup d'aller-retour entre vos bureaux et votre usine", prévient Jean-Marc Prunet, PDG de Myfox.
S'entourer de gros partenaires industriels ? Pas une garantie de succès
Dans sa quête de partenaires industriels, la start-up suisse PIQ (créée par le français Cédric Mangaud) a tiré le gros lot : un partenariat assorti d'une prise de participation de Foxconn, l'entreprise taïwannaise qui fabrique la plupart des produits Apple. Un ticket pour le succès ? C'est plus compliqué que ça, raconte le CEO. "Foxconn n'a pas l'habitude de répondre à des start-up, pour de petits volumes. Ils ont dû se réorganiser en interne pour répondre à nos besoins et demandes", confie Cédric Mangaud.
Les géants asiatiques voient tout de même arriver les jeunes pousses de l'IoT avec bienveillance, leur donnant une possibilité de se diversifier, juge Marian le Calvez de Giroptic "A côté des énormes marchés sur lesquels ils se battent jusqu'au sang, ils peuvent miser sur des start-up et des projets innovants et porteurs. Pour eux, c'est un pari à long terme".
Avec une limite : "dans le hardware innovant, on sort des sentiers battus, et cela devient très vite très compliqué, par rapport aux produits que les géants de l'électronique ont l'habitude de fabriquer". Rafi Haladjian le sait bien : son premier objet, le Nabaztag, avait été fabriqué dans une usine de jouets et non d'électronique, car ces dernières étaient "trop rigides" pour ce qu'il cherchait à faire.
Faire un carton sur Kickstarter ? Bien, mais tout reste à construire
Transformer un buzz en succès industriel, c'est toute une affaire. Le succès d'une campagne de financement peut être un cadeau empoisonné si les délais de livraison ne sont pas tenus. Et les sommes levées sont souvent faibles comparées aux investissements nécessaires pour véritablement lancer un produit grand public. "Certaines start-up abaissent volontairement leur objectif pour être sûrs de boucler la campagne, mais c'est un piège, car elles risquent de ne pas avoir les financements pour assurer la production", explique Marian le Calvez, COO de Giroptic (qui, elle, a dépassé le million d'euros récolté en 2014). "Avec 300 000 euros, on ne peut pas lancer grand-chose", alerte Cédric Mangaud. Kickstarter peut fonctionner un public de geeks, mais ça ne marche pas pour les produits sportifs, par exemple".
Le processus reste intéressant pour récolter de premiers retours clients. "Dans le software, on est dans une culture de beta versions, mais dans le matériel, si un composant lâche ou qu'une fonctionnalité ne marche pas, les produits doivent être retournés et la start-up peut ne pas s'en remettre. D'où l'intérêt d'avoir des retours très en amont", estime Marian le Calvez.
Créer une marque B2C ? Compliqué, et la valeur est plutôt dans le B2B
Il est très difficile, pour un pure player de l'IoT, d'exister dans un marché grand public extrêmement concurrentiel et, pour certains segments, pas encore mûr. Sen.se a d'ailleurs décliné son concept de Mother et ses motion cookies, des capteurs versatiles, en version B2B pour aider des industriels à créer des versions connectées de leurs produits. "Si l'IoT doit être le 'next big thing' que l'on annonce, cela passera par la connexion des objets courants de tous les jours. Ce qui tarde à démarrer mais cela finira par arriver", prophétise-t-il.
PIQ a lui choisi, tout en développant sa marque, de s'adosser à des spécialistes de chaque sport, comme Babolat pour le tennis. "On peut s'appuyer sur leur puissance marketing, leur connaissance du terrain, leur expertise métier" explique Cédric Mangaud. De quoi limiter la prise de risque.
Se passer d'intermédiaires pour la distribution ? Irréaliste
Forte d'un buzz et de pré-commandes sur une plate-forme de crowdfunding ou son propre site, une start-up peut croire qu'elle pourra se passer d'intermédiaires et de distributeurs. Cruelle erreur, selon Jean-Marc Prunet de Myfox. "On ne peut pas se contenter d'une distribution directe, c'est irréaliste", tranche-il. Etre dans les magasins, c'est se rendre visible, être crédible".
Un passage obligé... mais là aussi, le processus est long et fastidieux. "Créer un réseau de distribution, cela prend des mois", explique le PDG de Myfox. "Nous avons commencé nos discussions avec Best Buy (le Darty américain, NDLR) à l'automne 2014 et nous sommes en rayons depuis septembre 2015, cela donne une idée des délais", développe-t-il.
Selon Rafi Haladjian, il faut penser à l'étape distribution dès la phase de conception de son objet. "On doit le rendre 'remarquable', dans un rayon, au sens littéral du terme. C'est pour cela que nous avons fait une poupée et non un cube, blanche, avec des yeux pour capter le regard du public". Jean-Marc Prunet insiste aussi sur l'importance du travail sur le design au tout début de la conception d'un produit, avant même de définir ses fonctionnalités.
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