The Enemy : comment la réalité virtuelle rend le reportage de guerre plus personnel

La caractéristique première de la réalité virtuelle est l'immersion qu'elle procure. Le photojournaliste Karim Ben Khelifa l'a utilisée pour créer une exposition qui met le visiteur face aux combattants de trois conflits armés (en Israël et Palestine, en République démocratique du Congo et au Salvador). Une expérience intime, à la pointe de la technologie, et de très grande qualité qui nous montre à quel point ces ennemis ne sont pas si différents.

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The Enemy : comment la réalité virtuelle rend le reportage de guerre plus personnel
Les portraits des combattants ennemis et de leurs champs de bataille.

C'est une exposition particulière qui est installée à l'Institut du Monde Arabe du 18 mai au 4 juin 2017. Baptisée "The Enemy", elle confronte les points de vue de combattants opposés au sein de trois conflits armés : la guerre civile en République démocratique du Congo, le conflit israélo-palestinien et la guerre des gangs au Salvador. L'exposition, imaginée par le reporter de guerre Karim Ben Khelifa, se démarque par son utilisation de la réalité virtuelle.

Mettre le spectateur face aux combattants

L'idée est de réellement placer le visiteur face aux combattants pour diminuer la distance – inhérente aux expositions photographiques traditionnelles – entre le spectateur et le sujet. "Les réactions du public sont beaucoup plus fortes que pour des expositions plus classiques, reconnaît l'auteur. Les gens me disent qu'ils n'ont jamais rien vécu de pareil auparavant." L'effet est d'autant plus saisissant que Karim Ben Khelifa a fait le choix de présenter les témoignages dans un décor de musée très neutre, une salle blanche, afin de ne pas verser dans le sensationnalisme.

L'exposition est découpée en trois salles principales. On commence dans chacune par voir des photos accompagnées d'une narration qui illustrent le conflit, puis les deux ennemis arrivent en marchant dans la salle, comme s'ils étaient vraiment là. Chacun raconte ensuite son histoire lorsqu'on se rapproche de lui. Il regarde le spectateur dans les yeux tout en répondant aux questions de Karim Ben Khelifa (dans sa langue originelle, avec un doublage disponible en français ou en anglais). On se rend vite compte que leurs histoires sont globalement assez similaires : une enfance brisée, une vie dure et sanglante, pratiquement sans joie, un désir latent de connaître la paix. Ennemis héréditaires, ils ne sont finalement pas si différents.

Les autres spectateurs apparaissent sous forme de silhouettes translucides, mais cela donne réellement l'impression de visiter une exposition et non d'être isolé dans une expérience individuelle. Il faut souvent se frayer un chemin pour mieux voir ou écouter un témoignage !

Un projet à la pointe de la technologie

L'idée du projet est venue à Karim Ben Khelifa en 2013, lors d'une présentation d'Oculus au MIT Media Lab. Il lui aura fallu quatre ans pour le mettre sur pied, avec un coût total estimé à 1,5 million d'euros. La partie technique a été réalisée par le studio parisien Emissive et a nécessité de son côté plus d'un an de travail. Elle représente environ un tiers du budget total. Une somme justifiée par l'innovation déployée pour le projet. Car The Enemy n'est ni une expérience statique, ni une expérience solitaire. Elle peut contenir jusqu'à 20 visiteurs simultanés, tous équipés de casques Oculus Rift et cohabitant dans le même espace de 160 m2. "Réunir autant d'utilisateurs dans une même expérience VR est une première mondiale à ma connaissance", se félicite Fabien Barati, le fondateur d'Emissive.

Le système de positionnement utilisé pour suivre les déplacements des visiteurs est constitué de 26 caméras Optitrack. Les visiteurs doivent également enfiler un ordinateur-sac à dos VR One, conçu spécifiquement pour la réalité virtuelle par le constructeur MSI. Côté logiciel, l'expérience est conçue sur le moteur Unity et les protagonistes ont chacun été reconstitués fidèlement à partir de plusieurs centaines de clichés pris par Karim Ben Khelifa. Le résultat est visuellement à la pointe de ce qui se fait actuellement.

Une expérience personnalisée

Le MIT est également partenaire de l'exposition. Des techniques neurocognitives ont été appliquées à l'expérience pour tenter de renforcer l'implication des visiteurs. Chacun d'entre eux doit remplir un questionnaire sur tablette pour donner sa position sur chaque conflit avant d'entrer. Ces réponses impactent l'expérience, par exemple en rendant certains des interviewés plus méfiants si le visiteur s'approche trop de lui, comme s'ils craignaient de se faire attaquer.

Autre exemple : si quelqu'un se montre distrait ou ne prend pas les témoignages des combattants au sérieux, la salle s'assombrit pour le refléter. Si, au contraire, il réagit avec enthousiasme ou hostilité envers un témoignage, l'application le prend en compte et cela impacte la dernière partie de l'expérience. Dans cette dernière étape, justement, le spectateur est amené dans une pièce au centre de laquelle se trouve un miroir. L'image renvoyée est celle du combattant auquel il s'est le plus identifié. Son ennemi dans le conflit qui les oppose sort alors de derrière un rideau, et lui délivre un message soulignant à quel point ils ne sont au final pas si différents. L'immersion fournie par la réalité virtuelle renforce l'impact de ce message, même en n'étant pas personnellement touché par ces conflits.

Vidéo "The Enemy"

Après Paris, The Enemy partira en tournée internationale. Elle sera d'abord exposée à Tel Aviv, puis à Montréal, avant d'autres destinations potentielles.

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