[Tribune d'expert] Le drone, le sous-marin et le trampoline

La crise du Covid-19 a reporté l’entrée en vigueur de la réglementation européenne sur les drones, initialement prévue au 1er juillet, au 31 décembre 2020. Perçu comme intrusif, avec une capacité à photographier une personne ou la filmer en survolant son jardin, le drone ne doit néanmoins pas effrayer. Pour répondre à ces préoccupations légitimes voici quelques éléments décryptés par Aude Brocarel est juriste et experte en droit aérien, et Henri Guérin, spécialiste en communication de l’innovation.

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[Tribune d'expert] Le drone, le sous-marin et le trampoline

La crise COVID a reporté l’entrée en vigueur de la réglementation européenne sur les drones (initialement prévue au 1er juillet 2020) au 31 décembre 2020. Pour mémoire, le règlement 2019/947 remplace les scenarii d’exploitation connus de tous les professionnels, par la catégorisation des drones en fonction de leurs limites d’exploitation (hauteur de vol, distance par rapport aux obstacles…), des exigences applicables au pilote à distance, et des exigences techniques applicables à l’aéronef.

Le drone est perçu comme intrusif, avec une capacité à photographier une personne ou la filmer en survolant son jardin. Pour répondre à ces préoccupations légitimes voici quelques éléments, volontairement très simplifiés.

Il faut distinguer plusieurs types de drones

  • Ceux des services de l’État, pour la surveillance d’une situation au sol,
  • Les drones de loisir ou professionnels avec caméra,
  • Les drones professionnels qui assurent les services commerciaux comme la livraison de colis
  • et très prochainement la mobilité urbaine aérienne (comme les taxis aériens)

    La réglementation qui évolue à l’échelle nationale comme européenne est de plus en plus riche, selon la catégorie du drone et impose à leurs utilisateurs de se conformer à un certain nombre d’obligations (1) : la formation du télépilote, la déclaration de l’appareil, la déclaration de l’exploitant, l'identification et enregistrement ou encore l'altitude limitée, à 30 ou 120 mètres selon sa catégorie.

    S’agissant du drone de loisir, celui-ci fait l’objet d’une réglementation plutôt contraignante, tant pour la protection de la vie privée que pour la protection des biens et personnes survolés, et des autres usagers du ciel. Par exemple, la réglementation européenne prévoit que les exploitants de drones, même amateurs, sont obligés d’enregistrer leur drone s’il présente une masse supérieure ou égale à 250 g et qu’il est équipé d’un capteur pouvant recueillir des données personnelles, dès lors que leur drone n’est pas un jouet au sens de la directive 2009/48/CE du Parlement européen. Pour en savoir plus sur la réglementation des drones, selon les catégories, il est utile et prudent de se reporter au site officiel.

    Les drones professionnels n’échappent pas à la réglementation.On ne s’intéressera ici qu’aux drones professionnels, (transport pulvérisation, relevés cartographiques)…, et plus particulièrement, le drone professionnel, le drone cargo, celui qui livrera un déjeuner, un colis, un défibrillateur, les courses de la semaine, les médicaments ou transportera une personne.

    Le poids, l’ennemi des drones
    Pour qu’un drone décolle et vole, comme pour l’ensemble des aéronefs, il faut prendre en compte l’énergie : celle qui est nécessaire pour s’arracher à la gravité (qui augmente en fonction du poids) et celle qui permettra de faire fonctionner non seulement la liaison avec sa base mais aussi tous les appareils embarqués pour réaliser sa mission.

    Or, bien que les systèmes de stockage d’énergie se soient considérablement allégés, et qu’il soit possible de faire évoluer toutes sortes de lois, celles de la physique restent assez constantes. Aussi, pour une même quantité d’énergie, plus le drone est léger, plus il va loin et plus il vole longtemps. L’équation de la masse d’énergie stockée (batteries, carburant liquide ou gaz…), la charge transportée (poids du colis ou des passagers), ajoutée au poids du drone, et la capacité à planer déterminent, son temps de vol, et son allonge, c’est-à-dire la distance qu’un drone peut parcourir.

    De fait, sans charge ni accessoire, si l’essentiel du poids du drone tient au stockage d’énergie, et aux capteurs embarqués permettant de faire fonctionner sa liaison avec le sol, il peut aller loin... mais pour quelle utilité ? Si l'on ajoute des systèmes de sécurité et des accessoires (feux lumineux, électronique d’identification (wifi), senseurs,capteurs, parachute, airbag, système de flottaison, électronique de navigation, système sonore, système de prise de vues (caméras, optiques), système de pulvérisation pour l’agriculture, système de perche pour des nids de frelons dans les arbres, colis ou passagers...) on ajoute du poids, et on diminue son autonomie, donc son rayon d’action et temps de vol.

    Pour les curieux, il est possible d’estimer l’autonomie d’un drone à partir de ce site.

    Le drone a besoin d’une route
    Ce type de drone a besoin d’une route, pas nécessairement droite, comme un couloir aérien. Imaginons un tube invisible dans le ciel. Ce tube contourne certains bâtiments, routes à forte fréquentation, suit une ligne de tram, ou un fleuve. Bien entendu, cette route invisible sera concédée par les services de la sécurité aérienne de l’État ou de la ville, en fonction des zones qu’il survole. Dans ce tube, le drone doit se repositionner constamment.

    Pour se positionner dans les 3 dimensions, il utilise les constellations de satellites de navigation, comme un smartphone, celles à venir pour les objets connectés (IoT), l’altitude, les émetteurs radios au sol, et bientôt la 5G… Ainsi, il connaît sa position à moins d’un mètre, voire à quelques centimètres près avec la 5G. Pour s’identifier, il émet en Wifi, prévu par la réglementation, mais également d’autres émissions radio, vers le contrôleur, et de plus en plus entre drones et les autres aéronefs.

    Le drone détecte pour éviter
    Il n’y a pas obligatoirement d’opérateur devant son écran avec un joystick pour le piloter à distance avec une image retransmise par caméra. Le drone est aveugle comme le sous-marin qui évolue dans les profondeurs sombres des océans. En effet, le sous-marin militaire n’a pas (toujours ?) de pilote à l’avant, derrière un hublot.

    Comme lui, le drone doit détecter son environnement, les obstacles immobiles et mobiles qu’il peut croiser, tels qu’un autre drone, une éolienne, une antenne, une ligne électrique aérienne, un oiseau, ou un aéronef en basse altitude (hélicoptère de la sécurité civile, avion de chasse…). Dans son tube, comme le sous-marin, pour anticiper ces éventuels obstacles et les éviter, il utilise des émetteurs et des capteurs. Il envoie et reçoit différents signaux radio ou lumineux, des ondes dans toutes les directions et adapte sa navigation.

    Ces technologies sont déjà utilisées par l’aviation et similaires à celles de la voiture autonome :
  • Le radar pour détecter loin,
  • Le Lidar (rayons lumineux) pour les centaines de mètres,
  • L’ultra-son pour la proximité notamment
  • L’IA amène son lot de détection/ identification.

    Grâce à l’électronique qu’il embarque, il transforme les signaux qu’il reçoit en données, calcule les trajectoires de collision possibles et corrige. Exactement comme un humain le fait avec ses yeux et son cerveau pour éviter le poteau sur le trottoir ou le piéton qui vient en face.

    Parce que le drone emporte les moyens de détecter et de décider de sa trajectoire d’évitement en une fraction de seconde, dans l’absolu, il n’a ni besoin d’un opérateur à distance, ni de caméra. Néanmoins, ceux-ci restent utiles pour la levée de doute, faire face à une situation exceptionnelle que le drone ne peut gérer ou encore pour rassurer le public et les assureurs.

    L’intrusion et le respect de la vie privée n’ont pas à craindre des drones commerciaux parce que les appareils optiques qu’ils peuvent embarquer sont programmés pour effectuer certaines opérations, pas pour espionner. De fait, on ne peut pas vraiment dire qu’ils voient. En outre, la réglementation veille constamment au respect de la vie privée. Ce drone professionnel se moque bien de ce que l'on fait dans son jardin, derrière sa haie ou sur un balcon !

    En conclusion, tant que l'on ne croise pas sa route (jusqu’à 120 mètres d’altitude), parce que qu'on n'a pas amélioré le trampoline de ses enfants... Pur ces drones, on n’existe pas.

    Par Aude Brocarel est juriste formatrice, consultante et experte en droit aérien, et Henri Guérin, consultant en communication de l’innovation.

    Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Digitale.


    (1) Décret n° 2019-1253 du 28 novembre 2019 relatif aux sanctions pénales applicables en cas de manquements aux obligations destinées à renforcer la sécurité de l'usage des aéronefs civils circulant sans personne à bord

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