Après la Cour de cassation, c'est au tour de la Cour d'appel de Paris d'encadrer le travail sur les plateformes collaboratives
Quelle est la portée de l'arrêt de la Cour d'appel considérant qu'un chauffeur Uber est un salarié et non un indépendant ? Pour l'avocat et fondateur du cabinet Metalaw, Jérémie Giniaux Kats, la décision de la Cour d'appel de Paris s'inscrit dans la lignée de celle de la Cour de cassation pour TakeEatEasy. Toutes les ambigüités ne sont cependant pas levées.
Dans un précédent arrêt du 20 avril 2017 rendu au sujet des livreurs de TakeEatEasy, la Cour d’appel de Paris n’avait point vu de lien de subordination dans les conditions de travail des cyclistes. Cette position a été sanctionnée par la Cour de cassation le 28 novembre dernier et c’est aux dépens d’Uber que la Cour d’appel de Paris s’aligne désormais sur la malnommée "jurisprudence TakeEatEasy".
Dans son arrêt de 2017, la Cour d’appel relevait la géolocalisation, la comptabilisation des kilomètres en temps réel et la possibilité pour la plateforme de résilier le contrat ou d’affecter un malus au livreur, sans y trouver un pouvoir de contrôle ni de sanction, qui sont des indices d'un lien de subordination, constitutif du contrat de travail. La Cour de Cassation a invalidé cette lecture des faits.
Mais la Cour d’appel écartait surtout la requalification en ces termes :
"Cette liberté totale de travailler ou non [ …] qui lui permettait, sans avoir à en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque forfait horaire ou journalier mais aussi par voie de conséquence de fixer seul ses périodes d’inactivité ou de congés et leur durée, est exclusive d’une relation salariale."
Démarcations
L’apport premier de l’arrêt récent de la Cour de Cassation réside dans la sanction de cette motivation : depuis l’arrêt du 28 novembre 2018, la liberté ne fait plus l’indépendant. En condamnant Uber, la Cour d’appel qui juge en faits comme en droit vient d’exposer de quelle manière concilier l’inconciliable.
Tout d’abord elle identifie comme directives la recommandation de suivre les instructions du GPS de l’application, la recommandation d’attendre les utilisateurs une dizaine de minutes, les conseils comportementaux et l’interdiction de percevoir des pourboires. La Cour d’appel se démarque quelque peu de la Cour de Cassation qui n’avait relevé que la géolocalisation et le décompte kilométrique, pour s’aventurer un peu (trop) loin. La distinction entre les recommandations et les directives méritait d’être exploitée davantage : elle doit être analysée au regard des conséquences matérielles de leur transgression.
A cet égard, la Cour n’expose pas en quoi la recherche du « trajet efficace » est imposée, même de manière indirecte, au chauffeur. Par ailleurs, l’assimilation de conseils comportementaux à un pouvoir de direction d’employeur pourrait même effrayer un père de famille reprenant ses enfants à table. Il est sans doute préférable de se concentrer sur l’impact de la notation du chauffeur par les utilisateurs, sur la rémunération du prestataire.
Revirement total
Quant à la liberté effective que la Cour de Cassation passait sous silence, la Cour d’appel opère son revirement radical en ces termes :
"A propos de la liberté de se connecter et, partant, du libre choix des horaires de travail, il convient tout d’abord de souligner que le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n’exclut pas en soi une relation de travail subordonnée, dès lors qu’il est démontré que lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber BV, qui lui donne des directives, en contrôle l’exécution et exerce un pouvoir de sanction à son endroit."
Ainsi, l’existence du lien de subordination peut être valablement cantonnée aux périodes, pourtant librement choisies par le prestataire, pendant lesquelles il se connecte au service – organisé par la plateforme. L’application par la Cour de Cassation et les juges du fond, de critères jurisprudentiels anciens à une situation nouvelle trouve ici sa limite. En effet, un prestataire qui respecte les processus internes de son client – due diligence, cahier des charges, agenda, mode de réception d’un livrable, n’en reçoit pas pour autant des directives caractéristiques d’un lien de subordination.
De même, tout prestataire voit son travail soumis à un contrôle quantitatif et/ou qualitatif, parfois matérialisé par un procès-verbal de réception ou une levée de réserves. Il peut rendre des comptes en cours de contrat. Il n’en est pas pour autant soumis à un pouvoir de contrôle propre au lien de subordination.
Nouvelle définition de l'indépendant
Enfin, tout prestataire peut voir son engagement résilié en cas de manquement contractuel ou subir les conséquences financières de la non-atteinte d’un niveau de services (SLA) ou d’un indicateur de performance (KPI). Il n’en devient pas davantage salarié, quand bien même il n’aurait pas participé à l’élaboration des objectifs contractuels.
De tout temps, l’indépendant s’est démarqué du salarié par un pouvoir de gestion de ses affaires, un pouvoir décisionnaire sur son implication, ses orientations commerciales et professionnelles. S’il ne choisit pas toujours ses clients – ni ses tarifs que le marché peut parfois définir seul avec une grande précision, il détermine quelle expertise proposer sur le marché. Le pragmatisme nécessaire n’est pas subordination. La construction jurisprudentielle en cours invite donc à interroger les magistrats à rebours et leur poser cette question : qu’est-ce qu’un véritable indépendant ? A n’en pas douter, le législateur prépare une réponse.
Jérémie Giniaux Kats, avocat associé de Metalaw
Les avis d'expert sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteur et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine digitale
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