Twitter vaut-il vraiment 44 milliards de dollars ?

La somme déboursée par Elon Musk, et financée en majeure partie par de la dette, sera difficile à rentabiliser. Mais le patron multi-milliardaire de Tesla dit s'en moquer, avançant qu'il le fait pour le bien de l'humanité et au nom de la démocratie.

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Twitter vaut-il vraiment 44 milliards de dollars ?

Elon Musk a donc fini par racheter Twitter, pour 44 milliards de dollars. Un premium de 38% par rapport à l'évaluation qu'en faisait Wall Street avant le rachat. Si le prix payé ne semble pas un problème pour l'homme le plus riche du monde – "Je me fiche complètement des chiffres", a-t-il déclaré lors d'une conférence TED en avril -, on peut se demander si l'entreprise vaut vraiment cette somme.


Un LBO à rentabiliser

Les financeurs de l'opération, l'un des plus gros LBO de l'histoire, eux, se poseront forcément la question à un moment donné, et il faudra la rentabiliser. Car si Musk est multi-milliardaire, il doit une grande part de sa richesse au prix de ses actions. Il n'est pas assis sur des milliards de cash, et a donc donc dû emprunter, notamment auprès de Morgan Stanley. En tout, il a levé une dette de 25,5 milliards de dollars pour financer le deal, ses actions Tesla servant de collatéral à une partie de la dette (ce qui pourrait poser problème en cas de chute précipitée de leur cours). Il engage par ailleurs 21 milliards en fonds propres, ce qui correspondrait à environ 10% de sa fortune personnelle, mais impliquera certainement d'autres investisseurs. La sortie de Twitter de la bourse, qui a été saluée par son fondateur Jack Dorsey, doit encore recevoir l'approbation du régulateur pour être menée à son terme.

Or, Twitter est loin d'être une machine à cash. Créé en 2006, le réseau social n'a engrangé ses premiers bénéfices qu'en 2018. En 2021, il a enregistré une perte nette de 221 millions de dollars, après avoir perdu 1,1 milliard en 2020. L'entreprise a dégagé un chiffre d'affaires de 5 milliards de dollars l'année dernière, en croissance de 36%, mais bien loin des résultats astronomiques d'un réseau social financé également par la publicité comme Facebook. Les résultats opérationnels de la société sont régulièrement plombés par des affaires juridiques (809 millions de dollars dépensés en 2021 pour solder une class action lancée par des actionnaires, 150 millions d'amende en 2020 infligée par la FTC pour une affaire de violation des données personnelles).

réduire la dépendance à la pub

Comment le patron de Tesla a-t-il l'intention de s'y prendre pour transformer le réseau social et accroître sa rentabilité, bon gré mal gré ? Il s'est déjà exprimé en faveur d'une réduction de sa dépendance à la publicité, qui représente 89% de son chiffre d'affaires (85% de branding, 15% à la performance), lui préférant le modèle de l'abonnement. Twitter Blue, lancé en juin 2021 aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, propose pour un abonnement mensuel de 2,99 dollars l'accès à des fonctionnalités exclusives, comme la possibilité d'annuler un tweet, de créer des dossiers de signets, de lire des articles sans publicité sur des sites partenaires, et d'utiliser un NFT comme photo de profil.

Un peu court pour séduire une part significative des 300 millions d'utilisateurs de la plateforme, dont 217 millions d'utilisateurs quotidiens, et dont Elon Musk dit lui-même que la croissance est artificiellement gonflée par les robots dont il veut se débarrasser. L'entrepreneur avait twitté qu'il souhaiterait voir le prix de l'abonnement baisser et y associer une expérience sans publicité, mais il a effacé ces tweets.

très chère danseuse

Quelles sont ses autres pistes ? Rien dans son manifeste ne donne d'indice. Insuffler davantage de "liberté d'expression" et réduire la modération sur le réseau social comme il l'entend ne constitue pas un modèle économique. Cette "liberté d'expression" pourrait-elle ramener plus d'utilisateurs ? Le réseau social de Donald Trump (qui a d'ailleurs signalé que quoi qu'il arrive il ne retournera pas sur Twitter) ne l'a pas démontré. Quant aux annonceurs, ils pourraient être encore plus réticents à associer leur marque à la plateforme. Pour ce qui est des modérateurs, Twitter en compte environ 1500, ce n'est pas là que les économies seront substantielles. En tout, l'entreprise emploie 7500 personnes (+36% en 2021).

Alors, quoi ? Payer pour twitter ? Vendre une application en marque blanche ? Créer des activités liées à la crypto ? En faire une plateforme de destination pour les créateurs de contenus ? Quel est ce "potentiel gigantesque" qu'Elon Musk voudrait "débloquer" ?

Si l'on en revient à ses déclarations lors de la conférence TED du mois d'avril, le rachat "n'est pas un moyen de gagner de l'argent". C'est juste "extrêmement important pour le futur de la civilisation", "important pour le fonctionnement de la démocratie, et pour aider la liberté dans le monde. Le risque civilisationnel sera d'autant plus réduit que la confiance dans Twitter sera élevée". En bon grand patron, Elon Musk s'est offert sa "danseuse", attribut de pouvoir, étendard démocratique et levier d'influence. Ce n'est pas un journal, c'est un réseau social.

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