
A peine deux semaines après que Nokia (ex NSN, ex Nokia Siemens Networks) a annoncé le bouclage de la vente de ses smartphones à Microsoft pour un peu plus de 5,44 milliards d’euros et déjà, une nouvelle rumeur enfle. Elle évoque la volonté du finlandais redevenu équipementier télécoms d’avaler tout ou partie de son concurrent français Alcatel-Lucent. Une opération déjà souvent évoquée mais jamais concrétisée.
Ces dernières années, les deux équipementiers ont lutté pour leur survie, face au suédois Ericsson qui a réussi à se placer au sommet du marché et au très puissant et agressif chinois Huawei, et face à une clientèle d’opérateurs principalement européens eux-mêmes en difficultés. L’opération semble complexe pour les deux entreprises très semblables, mais pas complètement impossible. "Sur ce marché, tout le monde parle avec tout le monde depuis au moins cinq ans, rappelle Hervé Collignon, vice président d'A.T.
Reprises en mains
La rumeur prêtait aussi à Nokia un intérêt tout particulier pour les 29 000 brevets d’Alcatel-Lucent. Ancien numéro un mondial des mobiles, le finlandais dispose déjà d’une propriété intellectuelle de haut niveau que Microsoft lui a laissé moyennant accord de licences à l’occasion de la cession des smartphones. Mais c’est un véritable trésor de guerre dont dispose de son côté Alcatel-Lucent, au point que les brevets avaient été l’objet d’un scandale lorsque le prédécesseur de Michel Combes, Ben Verwaayen, les avaient hypothéqués fin 2012 contre un prêt de 1,6 milliard d’euros. La propriété intellectuelle du Français avait été estimée à plus de 5 milliards d’euros. Transistors, satellites, technologies mobiles et en particulier brevets essentiels sur la 4G, cloud, l’éventail de technologies "invented in Bell Labs" est large. De quoi attiser les convoitises.
Nokia, lui, revient sur le devant de la scène après une période très difficile de réduction drastique des coûts depuis trois ans. De plus, en 2013, il a subi deux lourdes transformations successives. Jusqu’au 1er juillet 2013, l’équipementier finlandais s’appelait encore Nokia Siemens Networks et appartenait à parts égales à Nokia et à Siemens. Mais l'allemand a revendu ses parts à son co-entrepreneur. Et tout juste un mois plus tard, Microsoft mettait la main sur les smartphones nordiques, laissant uniquement à Nokia ses brevets, sa cartographie et donc, ses équipements télécoms. Le finlandais dépensera-il le cash issu de cette opération pour avaler Alcatel-Lucent ?
Investissements mieux ciblés
Alexander Peterc, analyste chez Exane BNP Paribas, estime qu’une telle acquisition laisserait Nokia avec une dette nette bien trop lourde de 4,3 milliards de dollars, sans même inclure la dette consolidée provenant d’Alcatel-Lucent. Pour l’analyste, les seules synergies pourraient avoir lieu sur le mobile qui ne représente qu’un tiers de l’activité d’Alcatel-Lucent. Reste que Nokia s’est transformé et est redevenu un acteur qui compte. Quant à Alcatel-Lucent, il est lui aussi en cours de transformation. Leur rapprochement "aurait un sens en terme de stratégie industrielle et pour la filière européenne, estime de son côté Hervé Collignon. Il y a un rationnel géo-économique dans cette industrie qui reste une des rares zones de force de l’Europe."
Dans son étude "Rebooting Europe’s high-tech industry", AT Kearney indique en effet que, dans un secteur high tech européen globalement dans un état catastrophique, les équipements télécoms sont le seul segment avec trois acteurs - Ericsson, Nokia et Alcatel-Lucent - parmi les cinq premiers mondiaux. A eux trois, ils représentent un potentiel d’investissement en R&D de près de 8 milliards d’euros selon le cabinet. Dans l’éventualité d’un rapprochement du français et du finlandais, "ces investissements pourraient ainsi être mieux ciblés. Et l’Europe aurait deux champions plus forts de l’équipement télécoms, Ericsson sur le mobile et Nokia – Alcatel-Lucent plutôt sur le fixe."
Emmanuelle Delsol
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