Unity impose une taxe à l'installation aux développeurs de jeux vidéo et risque un exode massif

Les développeurs de jeux vidéo sont en colère. Unity Technologies, qui développe l'un des moteurs de jeu les plus utilisés dans l'industrie vidéoludique, a annoncé la mise en place d'une taxe en fonction du nombre d'installations d'un titre qui s'appliquera dès le 1er janvier 2024 et concernera toutes les applications utilisant son moteur, même celles sorties il y a des années.

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Unity impose une taxe à l'installation aux développeurs de jeux vidéo et risque un exode massif

C'est une véritable déflagration qui secoue l'industrie du jeu vidéo depuis le 12 septembre au soir. Unity Technologies, la société derrière Unity, l'un des deux moteurs de jeux vidéo qui dominent le marché (notamment pour les titres mobiles), va imposer une toute nouvelle taxe aux développeurs qui utilisent son moteur de jeu pour créer leurs titres.

A compter du 1er janvier 2024, date à laquelle la nouvelle politique entrera en vigueur, les studios qui auront dégagé via une œuvre donnée plus de 200 000 dollars de revenus les 12 mois précédents et dépassé les 200 000 installations devront en effet payer à Unity la somme de 0,20 dollars à chaque fois que leur jeu sera installé sur un appareil.

Ces frais, qui n'existaient pas jusque-là, s'appliqueront aussi bien à la version gratuite du moteur (Personal) qu'aux versions payantes (Pro et Enterprise), mais c'est la version Personal qui sera la plus touchée avec une taxe fixe de 20 cents. Pour les développeurs abonnés aux offres payantes, les frais d'exécution seront moins souvent appliqués et moins importants (entre 0,15 dollars et 0,005 par installation). A noter qu'en parallèle, l'offre Unity Plus, qui avait été introduite en 2016 pour offrir une alternative abordable à Unity Pro (dont le prix avait augmenté), va disparaître. C'est un coup dur en lui-même pour les indépendants.

Des frais qui suivent le succès des jeux

Cette nouvelle taxe a fait grand bruit au sein de la communauté internationale de créateurs de jeux vidéo. Une immense majorité des développeurs rejette en bloc ce que Unity Technologies a baptisé ses "frais d'exécution" (runtime fees, en anglais) et dit ne pas comprendre la volonté de l'entreprise de sabrer sa propre base de clients par une mesure aussi impopulaire. La presse spécialisée américaine va jusqu'à évoquer "la mort" du moteur de jeu.

Les titres les plus populaires, qu'ils soient développés par des mastodontes de l'industrie ou des studios indépendants, seront pénalisés. En effet, plus un jeu est installé, plus son créateur devra payer des frais à Unity. L'entreprise avait même déclaré dans un premier temps que ces frais d'installation s'appliqueraient deux fois si un joueur décidait d'installer le jeu puis de le désinstaller avant de le réinstaller, et ce sans plafond. Sollicitée par le média Axios, Unity Technologies a rétropédalé à ce sujet par peur de voir des utilisateurs mécontents ruiner un studio en s'adonnant à cette pratique à répétition.

L'installation par un seul et unique joueur du même jeu sur deux supports différents comptera néanmoins comme deux installations distinctes et obligera le développeur à payer deux taxes. Le streaming ou la distribution via un navigateur web (l'une des des forces historiques du moteur) compteront également dans ces "frais d'exécutions". Pour les jeux gratuits distribués sur le web, cela rend tout simplement le moteur inutilisable. La rétroactivité de cette mesure aux titres déjà sortis (dont la légalité n'est pas claire) pourrait aussi forcer certains développeurs à retirer leurs titres du marché. Les démos de jeux, installées gratuitement par les joueurs pour tester avant d'acheter, ne seront quant à elles pas concernées par cette taxe.

Une annonce opaque

Du reste, Unity n'a semble-t-il pas saisi pleinement la précarité des business models d'une grande partie de studios indépendants, dont la viabilité dépend justement de succès publics. Cette mesure ne correspond pas non plus au cycle de vie des jeux vidéo, qui peuvent encore trouver leur public des années après leur parution, au fil des promotions et des portages, lorsqu'ils rejoignent des offres d'abonnement comme le Xbox Game Pass ou des bundles dans le cadre d'événements caritatifs.

Si Marc Whitten, cadre d'Unity, a depuis l'annonce promis à Axios que les "frais d'exécution" ne s'appliqueront pas aux bundles caritatifs et que ce sera aux distributeurs de services d'abonnement comme Microsoft de payer les frais à la place des studios dont les jeux figurent dans le catalogue, cette précision arrive bien tard. L'opacité de l'annonce inquiète d'ailleurs de nombreux développeurs, qui demandent notamment par quels moyens Unity assurera le décompte exact du nombre d'installations. L'entreprise saura-t-elle même différencier les installations légales des versions pirates ?

Marc Whitten a tenu à apaiser les tensions, arguant que seulement environ 10% des clients d'Unity seraient concernés par cette taxe, étant donné les seuils de téléchargements et de revenus qu'il leur faudra atteindre. Pour ceux qui restent inquiets, l'entreprise renvoie vers ses formules d'abonnement Pro et Enterprise.

A noter qu'au-delà du jeu vidéo, Unity est utilisé par un grand nombre d'applications en 3D temps réel, qui vont des outils de formation professionnelle aux guides interactifs pour les musées en passant par des configurateurs automobiles ou des modules de visite virtuelle pour l'immobilier. Bien qu'étant moins touchés que les applications grand public (dont les volumes sont beaucoup plus élevés), cela pourrait aussi s'avérer rédhibitoire pour ces acteurs.

Attirer la clientèle vers des offres payantes

Ces changements ont une explication simple : la rentabilité est aujourd'hui un enjeu majeur pour Unity, qui a révolutionné l'industrie vidéoludique au milieu des années 2000 avec son moteur de jeu abordable et multiplatformes. S'en est suivi une explosion du nombre de développeurs indépendants. Mais malgré son succès incontestable, Unity est à peine profitable à l'heure actuelle (60 000 dollars de profits au 2e trimestre 2023 pour 533 millions de dollars de chiffre d'affaires), et son cours de bourse est tombé de 196 dollars en novembre 2021 à 39 dollars à l'heure actuelle.

Dans sa course avec son rival Unreal Engine, développé par Epic Games, la société cherche donc désormais à mieux monétiser sa popularité. Soit par le paiement progressif de taxes sur les résultats, donc, soit par l'abonnement à des offres payantes... Ou via ses services publicitaires, principalement utilisés par les jeux mobiles, mais qui représentent une grande part de ses revenus.

Dans son communiqué du 12 septembre, Unity dévoile d'ailleurs plusieurs nouveautés à venir concernant ses formules Pro et Enterprise : "Les nouvelles fonctionnalités comprennent une meilleure collaboration (Unity DevOps), une gestion des assets basée sur le cloud (Unity Asset Manager), des contrôles de rôles et d'accès (Team Administration) et la possibilité d'ajouter des fonctionnalités d'IA au moment de l'exécution (Unity Sentis)".

Vers un exode ?

Objectif : proposer en définitive un non-choix aux développeurs : puisqu'ils paieront quoiqu'il arrive le succès de leurs jeux développés via Unity avec les "frais d'exécution", autant débourser d'avance quelques centaines voire milliers d'euros pour des formules d'abonnement qui leur confèrent des avantages. Ou, et cela semble être l'option envisagée par de nombreux développeurs en colère sur les réseaux sociaux, délaisser à l'avenir ce moteur pour ses concurrents.

Car les utilisateurs du moteur critiquent déjà Unity depuis plusieurs années pour son mauvais sens des priorités, introduisant de nouvelles fonctionnalités qu'ils n'ont pas demandées aux dépends de capacités existantes qui se voient dégradées ou abandonnées, voire des performances du moteur qui déclinent.

De son côté, Epic Games s'est développé ces dernières années par le biais d'acquisitions stratégiques tout en se focalisant sur les performances du moteur avec la sortie d'Unreal Engine 5. Avec Fortnite en tête de gondole et la promesse d'une redistribution des revenus particulièrement favorable sur l'Epic Games Store, il a su gagner du terrain sur son concurrent. Mais c'est en réalité un troisième acteur qui représente la plus grande menace pour Unity : Godot, un moteur de jeu libre et ouvert dont la popularité croissante n'est pas sans rappeler ce que fut jadis Unity.

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