Est-on en train d'assister à la première crise systémique sur le marché des crypto-actifs ?

L'effondrement des cours des principales cryptomonnaies combiné au fonctionnement des marchés de crypto-actifs entraîne un effet boule de neige potentiellement dévastateur. Sans contagion possible, ou à la marge, du système financier traditionnel.

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Est-on en train d'assister à la première crise systémique sur le marché des crypto-actifs ?

Un vent de panique souffle sur le marché des cryptomonnaies. Assiste-t-on à la première crise systémique du secteur ? Qui sera son Lehman Brothers ? Le krach du Bitcoin, tombé cette semaine à son plus bas niveau depuis 2020, a tout l'air d'un gigantesque stress test pour les acteurs du marché. Pour ceux qui ne le passeront pas, un rappel s'impose : sur ce marché non régulé, il n'existe ni protection pour les clients en cas de faillite, ni aucune cryptobanque "too big too fail".

Succession inquiétante de mauvaises nouvelles

L'actualité de ces dernières semaines est préoccupante pour le secteur et fait craindre la contagion. Après la faillite à la vitesse de la lumière du stablecoin algorithmique Terra (adossé de manière indirecte au dollar), passé d'une capitalisation de 40 milliards de dollars à zéro, la plateforme de finance décentralisée Celsius, l'un des plus gros prêteurs en cryptomonnaie du marché (1,7 million de clients, 11 milliards de dollars d'actifs sous gestion), a annoncé dimanche qu'elle suspendait sine die les opérations (transferts, retraits, échange) sur sa plateforme. Elle est à court de liquidités. Selon le Financial Times, entre mars et mai, un milliard de dollars seraient sortis de son système.

Un risque systémique existe lorsque tout un système est menacé par un effet domino. Celsius, par exemple, a emprunté 500 millions de dollars à Tether, un stablecoin adossé au dollar mais également à des créances en dollars. Dans le monde de la finance décentralisée, les prêts sont "collatéralisés" en cryptomonnaie, par exemple en Bitcoin. Si le cours du Bitcoin baisse, l'emprunteur doit déposer de nouveaux bitcoins. Tout le système repose sur la participation de plus en plus d'acteurs à cette économie, sinon il se grippe. A partir de là, on peut s'attendre à des réactions en chaîne.

Risque systémique

En mai 2022, la Banque centrale européenne (BCE) a publié un rapport sur les risques des crypto-actifs pour la stabilité du système financier. Logiquement, plus ces marchés sont interconnectés avec les marchés financiers classiques, plus les risques systémiques augmentent. Or, le rapport note une implication de plus en plus importante des investisseurs traditionnels dans les crypto-actifs. Il conclut que si "la présente trajectoire de croissance se poursuit en taille et en complexité, et si les institutions financières deviennent de plus en plus impliquées, les crypto-actifs vont constituer un risque pour la stabilité financière".

Pour le moment, ces risques demeurent limités. Néanmoins, selon un sondage de Fidelity Digital Assets, 56% des investisseurs institutionnels européens sont exposés, à quelque degré que ce soit, à cette classe d'actifs (contre 45% en 2020). Les grandes banques internationales sont toutefois très peu exposées. Pour la BCE, il n'est cependant pas exclu qu'une crise crypto-financière se répercute dans le reste de l'économie, par le biais de l'exposition directe à ces actifs, des effets de richesse, de l'impact sur la confiance des agents économiques, et de l'utilisation des cryptomonnaies comme moyen de paiement.

En outre, la multiplication de produits dérivés (notamment à effet de levier) accroît le risque de l'exposition aux crypto-actifs. En parlant de produits dérivés, le rapport contient une statistique "amusante" : la taille du marché des crypto-actifs représente aujourd'hui l'équivalent de la titrisation des subprimes avant la crise de 2008…

Réactions en chaîne

Pour l'instant, si crise systémique il y a, elle est circonscrite au monde des cryptomonnaies. Un cercle vicieux s'est enclenché, et on risque l'équivalent d'un "bank run", avec des investisseurs qui cherchent à tout prix à récupérer leur mise, générant un risque de liquidité pour les plateformes. Car, contrairement à ce qui a été mis en place dans le secteur de la finance régulée, soumis à des exigences prudentielles (les institutions financières sont obligées de mettre une certaine quantité de capital en face de leurs actifs) et des stress tests, les sociétés du secteur de la crypto ne présentent pas ces garde-fous et pourraient rapidement se retrouver à court de fonds. Le cercle vicieux s'étend même au minage, certains mineurs fermant le rideau car leur activité n'est plus rentable.

Tout ceci a des conséquences bien concrètes. Les quelque 1500 licenciements annoncés ces derniers jours par la plateforme de finance décentralisée BlockFi et les plateformes de trading Crypto.com (qui avait fait du bruit avec sa publicité pendant le Super Bowl) et Coinbase ne sont pas virtuels. Certaines entreprises pourraient également pâtir indirectement du krach. Tesla, par exemple, enregistre à l'heure qu'il est 500 millions de dollars de perte nette – bien que non réalisée – sur ses placements en cryptomonnaie. La société pourrait être amenée à comptabiliser des charges de dépréciation.

Quant au Salvador, qui a fait du Bitcoin une monnaie à cours légal, ses réserves en Bitcoin ont fondu de 50 millions de dollars. Sachant que la dette publique du pays s'établissait à 85% du PIB en 2021 et que le Salvador devra faire face à une échéance de dette de 800 millions de dollars en janvier 2023, son risque de défaut va augmenter.

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