Et si la réforme du droit d’auteur était le meilleur thriller de Cannes...
Comme toutes les industries culturelles, le monde cinématographique est inquiet par le projet de réforme de la directive européenne sur le droit d’auteur. Dimanche, Manuel Valls clôturera un colloque sur ce sujet au Palais des Festival de Cannes. Moins attendus que la robe de Sophie Marceau, ses propos pourraient avoir plus d’influence sur l’avenir des salles obscures.
À Cannes, quand on ne commente pas la dernière robe de Sophie Marceau ou le film de Catherine Deneuve... on discute business. Parallèlement au festival et à ses différentes sélections, la quinzaine est l’occasion d’un marché du film où l’on achète et vend comme dans les plus endiablées parties de Monopoly. Entre deux deals, les spécialistes débattent aussi de l’avenir de l’industrie cinématographique à l’heure des plateformes numériques et du piratage. Signe de l’importance des discussions qui se tiennent sur la Riveria, le Premier ministre, Manuel Valls viendra clôturer dimanche 17 mai un colloque au titre aussi austère que certains films projetés : "L’avenir du droit d’auteur en Europe : culture et marché unique numérique".
UN COLLOQUE SUR Le DROIT D’AUTEUR EN EUROPE CLOTÛRÉ PAR MANUEL VALLS
La venue du Premier ministre s’explique car, comme toutes les industries culturelles, le monde cinématographique est inquiet depuis qu’une révision de la directive européenne sur le droit d’auteur est annoncée. Le rapport Réda, du nom de la députée du Parti pirate à qui la Commission l’a confié, a semé l’inquiétude, faisant craindre une harmonisation par le bas des règles prévalant en la matière. Difficile à admettre pour un pays comme la France, fière du dynamisme de son industrie cinématographique grâce à une politique volontaire face à la menace d’hier : la télévision.
La crainte est telle que début avril, 26 cinéastes parmi les plus prestigieux que compte l’Europe — à commencer par Ken Loach, les frères Dardenne ou encore Wim Wenders — ont lancé un appel depuis Rome où se tenait un festival du nouveau (sic) cinéma français, révélant que l’Europe compte autant de festivals de cinéma que la France de fromages. Les cinéastes demandaient notamment qu’une taxe soit instituée sur les réseaux Internet pour financer la production cinématographique. Puisque les fournisseurs d’accès commercialisent des offres à très haut débit, indispensables pour diffuser des films, qu’ils financent une partie des films sans lesquelles leurs offres ressembleraient à l’autoroute du soleil une nuit d’hiver : du débit potentiel mais guère de trafic. Parmi les autres demandes de cet appel figure aussi des mesures pour développer l’ouverture de nouvelles salles de cinéma et d’autres pour accélérer l’émergence d’acteurs européens pour concurrencer les plateformes de vidéo à la demande.
LE COMMISSAIRE GÜNTHER H. OETTINGER CHERCHE À DÉMINER LE TERRAIN
Dans l’édition du 14 mai du quotidien le Monde, le commissaire européen pour l’économie et la société numérique, Günther H. Oettinger, a fait une très longue et alambiquée réponse où chacun trouvera ce qu’il a envie de lire. Il y affirme ainsi "nous souhaitons assurer la portabilité du contenu légalement acquis". Soit la lutte contre le geoblocking, du joli nom que l’on donne à la pratique qui limite à un territoire la diffusion d’une œuvre pendant une période donnée. Cela fait partie des demandes exprimées par la députée pirate Julia Reda mais aussi par les clients des plateformes, las de ne pouvoir voir depuis un autre pays les films qu’ils paient pourtant dans leur pays de résidence. Sauf que cela remet en cause le droit d’auteur tel qu’il est pratiqué.
Dans le même texte, le très souple Günther H. Oettinger promet ne pas vouloir "remettre en cause le principe de la territorialité des droits, ni imposer des licences paneuropéennes". Cet engagement devrait satisfaire les créateurs, leurs ayant droit et les producteurs. Car, poursuit le commissaire, "les mesures que nous proposerons devront renforcer le secteur culturel et créatif" !
La position des autorités françaises est attendue. Jusqu’où est prêt à aller le gouvernement pour défendre l’industrie cinématographique française, au nom de l’exception culturelle ? Les propos de Manuel Valls dimanche 17 mai seront décortiqués et soupesés par ceux que l’immense et souvent facétieux Jean-Luc Godard, surnommait les professionnels de la profession.
Christophe Bys
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