L’open data dans les transports n’est pas un choix mais une obligation

Poussés par l’Europe et le risque d’intermédiation des géants du Web, les acteurs du transport français n’ont pas le choix. Qu’ils soient publics ou soumis à la concurrence, tous doivent ouvrir leurs données. Une question d’intérêt général, explique Francis Jutand, dans le rapport "Ouverture des données de transport ", remis au gouvernement.

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L’open data dans les transports n’est pas un choix mais une obligation
De gauche à droite : Francis Jutand (CNNum), Alain Vidalies (ministre des Transports) Henri Verdier (Etalab)

Pour le transport français, l’open data n’est plus un choix. C’est une obligation. C’est en tout cas ce qui ressort du rapport " Ouverture des données de transport " remis le 12 mars 2015 à Alain Vidalis, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Rédigé par un comité présidé par Francis Jutand, directeur scientifique de l’Institut Mines Télécom en charge de la recherche et de l’innovation et membre du CNNum, ce rapport technique pose clairement la problématique : "Si les données n’étaient pas ouvertes par décision d’intérêt général, l’effet de cisaillement de la concurrence ouvrirait de toute façon la porte aux plates-formes d’intermédiation et viendrait contraindre ceux qui n’ouvriraient pas." Dans le rapport, cette phrase fait référence aux données en concurrence, comprenez celles détenues par les acteurs privés du transport. Mais elle vaut bien sûr également pour les données publiques.

Sous la menace des plates-formes

Sans ambiguïté, le rapport prévient donc clairement que si les acteurs français publics et privés ne partagent pas vite toutes leurs données, il deviendra impossible de proposer aux usagers des solutions alternatives de qualité face à celles des géants du Net pour le calcul d’itinéraires multimodaux. "Qui aurait pensé qu’une équipe de cinq ingénieurs israéliens pouvait à elle seule créer un GPS numérique à partir de données géolocalisées ?", rappelle Henri Verdier, administrateur général des données du gouvernement, en référence à l’application Waze, rachetée par Google. Plutôt que de s’appuyer uniquement sur les données satellite, Waze propose aux conducteurs mobinautes de signaler tout incident, blocage du trafic, panne rencontrés sur leur route.

Et il y a urgence, si la France ne veut pas se voir imposer par l’Europe les modalités d’ouverture des données. Car " l’Europe a pris le problème à bras le corps, prévient Francis Jutand. Elle a déjà avancé notamment sur les questions de sécurité, qui impliquent l’ouverture de données publiques mais aussi privées. Elle réfléchit aussi à des services de calcul d’itinéraire multimodal, impossible sans les données publiques ".

Et le numérique est l'une des priorités de Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne, qui doit présenter sa stratégie en la matière dès mai prochain. L’open data transport devrait y figurer en bonne place. La diversification de la concurrence dans les territoires, avec la confrontation TER versus autocar, versus voiture individuelle, versus covoiturage, milite aussi pour une ouverture rapide des données publiques ! Et dans les villes, la complémentarité métro, tram, bus, vélo, covoiturage, auto partage, en corrélation avec les problématiques de parking, de location et de sous-location, doit impérativement être organisée. Sans oublier l’arrivée des véhicules autonomes, de la route connectée…

De nombreuses réticences perdurent

Le rapport Jutand fait quatre recommandations au gouvernement, pour inscrire l’ouverture des données publiques de transport dans la future loi numérique. Avec un principe de base : "La notion d’intérêt général est le véritable moteur pour savoir quelles données doivent être ouvertes", explique Francis Jutand. En effet, même s’il parait évident que toutes les données doivent être ouvertes pour que cela serve à quelque chose, les acteurs, même publics, sont réticents à partager les données dynamiques. Celles qui indiquent en temps réel les horaires effectifs de passage, les ralentissements, les accidents… Consensuel dans sa première recommandation, le rapport propose donc trois modes d’ouverture pour les données publiques de transport : ouvertes libres de réutilisations, ouvertes sous condition et ouvertes à fin d’étude et de recherche. Une idée qui ne fait pas l’unanimité. "On ne peut pas construire un système de transport sans toutes les données", insiste Henri Verdier.

La qualité des données, critère primordial

Moins polémique, la deuxième recommandation propose de fixer le cadre, avec la rédaction de CGU (Conditions générales d’utilisation) et l’utilisation en priorité du mode de licence ouverte défini par Etalab. Le rapport ne peut certes pas imposer l’open data transport aux entreprises en concurrence, mais il les incite fortement à l’inscrire dans leur stratégie dans ses recommandations 3 et 4. Reste enfin l’épineux problème de la qualité et de la complétude des données. Car ouvrir les données ne sert à rien si elles ne sont pas valorisables. Or les start-up du secteur s’arrachent les cheveux pour exploiter les données déjà ouvertes, tant il manque un référentiel commun. Sans parler des trous. "L’impact du coût de production des données et la nature des modèles économiques associés sur la qualité de service et la valorisation des données doivent être pris en compte, mais ne doivent pas conduire à pérenniser les 'trous de gruyère' quand l’intérêt général est en jeu", indique le rapport. En clair, les données publiques ouvertes devront être de qualité. Aucune excuse ne sera acceptée. Au gouvernement d’inscrire toutes ces obligations dans sa loi numérique, qui devrait être débattue à l’automne 2015.

Aurélie Barbaux

Rapport Open Data Transport by L'Usine Nouvelle

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