Le mirage de "l'uberisation" est-il sur le point de s'évaporer ?

La Californie sonne la fin de la récréation. L'Etat a voté une loi donnant aux chauffeurs des plates-formes de VTC le statut de salarié. Un coup dur pour Uber et Lyft, dont le modèle économique repose sur le fait de mettre en relation des professionnels ayant le statut d'autoentrepreneur avec des particuliers se verront fortement impactées. Si même la Silicon Valley leur tourne le dos, qu'est-ce que cela dit de leur avenir ?

Partager
Le mirage de

La Californie, terre natale d'Uber et Lyft, est en train de voter une loi requalifiant les chauffeurs VTC en salariés. Un bouleversement pour ces plates-formes dont le modèle économique repose sur le fait de mettre en relation des professionnels avec des particuliers sans avoir à salarier ces premiers. Retour sur la genèse de ce business model.

Uber se lance en mars 2009. Son ambition ? Mettre à la portée du plus grand nombre un service de transport avec chauffeur dont le prix de la course est connu à l'avance et dont les courses se commandent via une application mobile. Le monde du taxi est bousculé par l'arrivée de ce concurrent qui grossit rapidement et fait des émules. D'autres start-up se développent sur le même modèle et proposent de nouveaux services comme la livraison de repas à domicile. On parle alors "d'économie des petits boulots", ou "gig economy" en anglais.

Un modèle économique critiqué mais qui fait des envieux

Dès l'origine, ce modèle économique est fortement critiqué. Par les chauffeurs de taxi qui voient d'un mauvais œil l'arrivée d'un concurrent qui ne paye pas de licence pour exercer et très peu de charges sociales puisque les chauffeurs ne sont pas salariés. Par une partie de la société civile qui évoque une "casse sociale" en raison de l'utilisation de ce statut d'autoentrepreneur qui ne procure presque aucune sécurité aux chauffeurs. Enfin, par certains chauffeurs eux-mêmes qui critiquent les algorithmes utilisés qui font fluctuer le prix des courses et font que finalement ils se voient imposer des horaires de travail.

Peu importe. Le nombre de start-up se multiplie : Lyft, Deliveroo, Just Eat, Bolt… Le terme "d'uberisation" est de plus en plus utilisé, et est présenté comme une révolution. Celui-ci évoque ces start-up qui remettent en cause un secteur d'activité en proposant les mêmes services à des prix moindres puisque effectué par des indépendants plutôt que des salariés. Que ce soit le transport, les petits travaux de rénovation ou encore le service à la personne, de nombreux domaines sont touchés.

Des dépenses toujours plus importantes

Pour conquérir toujours plus de clients et de marchés, les jeunes pousses se lancent dans une guerre des prix. De nombreuses offres promotionnelles sont proposées et de larges campagnes publicitaires sont financées. Les caisses de ces jeunes pousses se vident et les levées de fonds se multiplient, toutes plus importants les unes que les autres. Dans les cinq premières années de son existence, Uber a déjà levé un total de 2,7 milliards de dollars. Et les montants de ses levées de fonds continuent de croître : le géant du VTC lève notamment 3,5 milliards de dollars en 2016 et 2 milliards en 2018. En mai 2019, il réalise son introduction en Bourse et récolte 8,1 milliards de dollars.

Une croissance financée à grand renfort de levées de fonds ? Cela y ressemble. Et cet argent frais ne sert pas à mieux rémunérer les chauffeurs. Par contre, le département de R&D d'Uber, qui cherche à développer des véhicules autonomes et des taxis volants, est bien doté. Outre le fait de ne pas salarier ses chauffeurs et de ne pas payer de charges sociales pour ces derniers, Uber cherche aussi à payer le moins d'impôt possible dans les pays où il est implanté. Le dernier montage financier en date concerne l'Europe. Il a été révélé par l'agence de presse Bloomberg en août 2019. Uber a trouvé un montage permettant à sa filiale néerlandaise Uber BV, qui facture les courses réalisées dans les différents pays européens, de bénéficier d'un crédit d'impôt de 6,1 milliard de dollars… De quoi être tranquille quelques temps.

Multiplication des ennuis judiciaires

En parallèle, les ennuis judiciaires se multiplient en France et à l'étranger, que ce soit pour Uber, Deliveroo ou Take Eat Easy. Deux fronts judiciaires s'ouvrent : des autoentrepreneurs eux-mêmes demandent à ce que leur contrat soit requalifié en contrat de travail et des villes révoquent les licences de certaines plates-formes de VTC ou imposent un salaire minimum pour les chauffeurs. En France, c'est un arrêt rendu en novembre 2018 par la Cour de cassation qui alerte les start-up : la haute juridiction a reconnu l'existence d'un contrat de travail entre un livreur à vélo et la plate-forme "Take Eat Easy".

Peu importe, les start-up continuent sur le même modèle. Et celles qui se créent en affirmant vouloir salarier les chauffeurs ou les livreurs changent rapidement d'avis et se tournent vers des autoentrepreneurs. De toute façon, Uber, pour ne citer qu'elle, continue de gagner de nouveaux utilisateurs. Preuve que malgré les critiques et l'ouverture de ces fronts judiciaires, le public utilise ces nouveaux services. Le fait qu'il ne s'agisse pas d'un modèle économique durable n'y change rien.

La seule façon pour que ces sociétés changent de modèle c'est en les contraignant par des législations plus strictes. L'Etat de Californie aux Etats-Unis semble vouloir mener la charge. Et cela pourrait leur coûter cher. La banque américaine Morgan Stanley estime que le passage au statut de salarié des chauffeurs Uber et Lyft augmenterait leurs coûts de 35 %. D'autres Etats suivront-ils ? Et si c'était le cas, ces acteurs pourront-ils continuer à dépenser comme ils le font ? Ramenés au même niveau que leurs concurrents (les entreprises de taxi historiques) et alors que les levées de fonds se tarissent, ils risqueraient d'être confrontés à un retour à la réalité particulièrement brutal.

SUR LE MÊME SUJET

Sujets associés

NEWSLETTER L'Usine Digitale

Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.

Votre demande d’inscription a bien été prise en compte.

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes...

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes du : Groupe Moniteur Nanterre B 403 080 823, IPD Nanterre 490 727 633, Groupe Industrie Service Info (GISI) Nanterre 442 233 417. Cette société ou toutes sociétés du Groupe Infopro Digital pourront l'utiliser afin de vous proposer pour leur compte ou celui de leurs clients, des produits et/ou services utiles à vos activités professionnelles. Pour exercer vos droits, vous y opposer ou pour en savoir plus : Charte des données personnelles.

ARTICLES LES PLUS LUS