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Les trois problèmes de la rémunération de Michel Combes

Emoi chez les politiques, convocation du Pdg d’Alcatel-Lucent à Bercy, publication par l’AMF de ses échanges de courrier, le package de départ de Michel Combes fait des vagues. Décryptage des trois sujets qui posent problème : le montant, les conditions d’attributions et la légitimité de cette prime.

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Les trois problèmes de la rémunération de Michel Combes

Oui, Michel Combes a mené avec célérité le repositionnement d’Alcatel-Lucent, oui il est arrivé à la tête d’une entreprise qui valait à peine 2 milliards d'euros et l’a vendu 15 milliards à Nokia, oui il a engagé une stratégie d’alliance européenne pour assurer un avenir à ses 50 000 salariés. Dans la communauté du business, peu remettent en cause les qualités de Michel Combes et ses résultats chez Alcatel.

Pourtant les conditions financières extrêmement favorables de son départ choquent. D’abord classiquement, les salariés et les politiques : de Jean-Christophe Cambadélis à Michel Sapin en passant par Alain Juppé qui qualifient ce package de départ, selon leurs sensibilités, de "scandaleux", " indécent", "irresponsable", "manque de bon sens". Mais le patron n’a pas été épargné non plus par le Medef qui a lancé son haut comité du gouvernement d’entreprise sur le sujet. A mots couverts, certains investisseurs institutionnels s’en émeuvent aussi. Le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, a, d'ores et déjà, reçu le président directeur général d’Alcatel-Lucent Philippe Camus et lui a expliqué qu'il désapprouvait le choix de Michel Combes de quiter son poste de directeur général plutôt que prévu. L'AMF (autorité des marchés financiers) vient de publier ses échanges de courrier avec l'entreprise. En réalité, au delà de l'émotion, trois sujets posent question si on les analyse dans le détail.

Premier problème : le montant

Après deux ans chez Alcatel-Lucent, Michel Combes va toucher 4 458 548 actions de la société, entre 2016 et 2018, ce qui à un cours actuel autour de 3 euros représente une valorisation d’un peu plus de 13 millions d’euros. Bien entendu, le cours actuel ne présume pas de la valeur future et c’est d’ailleurs l'une des habiletés du conseil d’administration que de n’avoir rien versé en espèce. Selon qu’il varie de 20% à la baisse ou 20% à la hausse d’ici trois ans : la somme oscillera entre 10,4 millions ou 15,6 millions. Cela fait tout de même beaucoup, pour un travail de deux ans.

Pour le grand public, c’est incompréhensible. Au delà du million, ces sommes sont inconcevables pour beaucoup de Français et l’émotion est quasi-inévitable. Mais il n’est pas interdit de comparer avec les situations d’autres patrons. Christophe Viehbacher, débarqué de Sanofi l’an dernier avait touché un package de départ d’environ 4,5 millions d’euros. Il était resté 6 ans à la tête de Sanofi et avait lui aussi largement participé à remettre l’entreprise sur les rails.

Il a pourtant touché trois fois moins que Michel Combes, même si Christophe Viehbacher a eu le temps, pendant sa période chez Sanofi, de percevoir une rémunération de long terme en exerçant une partie de ses stocks options et en acquérant ses actions gratuites liées à la performance. Cette possibilité n’avait pas encore été ouverte à Michel Combes puisqu’il n’était chez Alcatel-Lucent que depuis deux ans et que son plan de rémunération prévoyait une période de présence de trois ans. Mais sa rémunération fixe de 1,2 million d'euros par an était quoiqu’il en soit supérieur à la moyenne des salaires fixes des patrons du CAC 40. Bref, plus de 13 millions, c’est beaucoup et pas seulement si l’on convertit cette somme en année de smic.

Deuxième problème : les conditions d’attributions

Les 4,5 millions d’actions que Michel Combes doit toucher se composent de 2 610 648 actions dites de performance, de 350 000 actions pour remplacer une promesse de 700 000 options de souscription et de 1 467 900 actions d’indemnité pour une clause de non-concurrence. Le moment de l’attribution et les conditions d’information de ces montants posent question.

Le 18 mai 2015, une semaine avant l’assemblée générale, la société Alcatel-Lucent informe que compte-tenu du projet de fusion avec Nokia, les conditions des rémunérations long terme des salariés et du PDG sont revues. Alcatel-Lucent décide de supprimer la condition de présence de trois ans de Michel Combes et fixe les montants d’actions qui lui seront distribués jusqu’en 2018, puisque les périodes de versement s'étalent par tranche de trois ans.

Cette information ne fait pas l’objet d’une résolution votée en assemblée générale. Le "say on pay" sur la rémunération du dirigeant voté lors de l’AG du 26 mai renvoie dans le détail aux rémunérations de long terme fixées avant le projet de fusion... et donc déjà rendu caduc par l'information discrète du 18 mai.

Par ailleurs, au milieu de l’été, lors du conseil d’administration du 29 juillet, surgit le principe d’une indemnité pour clause de non-concurrence de 1,5 million d’actions versée sur trois ans (environ 4,5 millions d’euros). A l’époque Michel Combes est déjà donné partant depuis un bon mois chez Altice et SFR Numéricable.

Au-delà du fait que les actionnaires n’ont absolument pas voté cette clause de non-concurrence, pourquoi se précipiter pour payer une forte somme destiné à empêcher Michel Combes d’aller à la concurrence alors qu’il a visiblement déjà trouvé un emploi chez l'un de ses anciens clients ? Faut-il soigner ce futur client ? Nokia s’est-il inquiété au dernier moment du poids des secrets que Michel Combes emportait avec lui ? Michel Combes a expliqué le 31 août aux Echos que Alcatel-Lucent lui a "imposé cette clause". Une obligation chèrement payée. Le code Afep-Medef estime de son côté qu’une indemnité de concurrence ne doit pas dépasser un plafond de deux ans de rémunération (fixe + variable). En 2014, Michel Combes a touché 2 millions d’euros. Avec 4,5 millions d'euros estimé de clause de non-concurrence, on est légèrement au-dessus. Tout dépendra là encore de l'évolution de l'action d'ici trois ans. S'il a bien fait son boulot, ce pourrait être beaucoup plus...

Dans tous les cas, l’entreprise devra faire voter l’indemnité de non-concurrence lors de la prochaine assemblée générale de 2016 (car toute modification des conditions de départ doit être soumise à l’AG) mais si elle a commencé à la verser, il sera compliqué d’aller chercher l’argent.

Troisième problème : la légitimité des sommes

En fixant en mai 2015, les montants d’actions de performance à distribuer à Michel Combes jusqu’en 2018 (puisque chaque exercice donne lieu à des versements par tranche durant trois ans), le conseil d’administration a en quelque sorte soldé par anticipation les comptes de son ancien directeur général et ce quelque soit la performance à long terme de l’entreprise. Or le code Afep-Medef estime que "l’attribution des actions doivent être liés à des conditions de performances sérieuses et exigeantes sur plusieurs années."

Pour Michel Combes, la performance était évaluée à travers plusieurs indicateurs dont l’avancement du projet Shift et l’évolution de l’action Alcatel-Lucent par rapport à un panel d'actions du secteur. En gravant dans le marbre des droits acquis avant de connaître l’évolution de la société, on peut se demander si cette exigence de résultats à long terme est bien tenue.

Par ailleurs, la transformation des 700 000 options de souscription d'actions (tout plan d'options de souscription a été annulé en raison de la fusion) en 350 000 actions sonnantes et trébuchantes n’est ni motivé, ni objectivé dans la communication de la société. Cadeau bonux aussi sans doute...

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