Métiers du numérique : "Les candidats sont devenus des rockstars"

Les difficultés de recrutement dans l'informatique ne sont pas nouvelles, mais la situation empire. Face à la pénurie qui touche le secteur, comment les entreprises s'y prennent-elles pour recruter ? Quelles sont les attentes des candidats ? Reportage à Station F, où se tenait la semaine dernière un forum des carrières dans la tech.

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Métiers du numérique :

Le 2 juin se tenait à Station F un forum de recrutement dans le secteur de la Tech, organisé par Tekkit.io. Développeurs, DevOps, architectes, chefs de projet, data scientists… Une cinquantaine d'entreprises avaient répondu présentes pour tâcher de trouver la perle rare, tandis que 500 candidats présélectionnés venaient faire leur marché. Car le rapport de force, dans le secteur, est plus que jamais en faveur des candidats. De l'aveu des recruteurs, il est de plus en plus difficile de trouver chaussure à son pied.

"Le marché est pénurique", résume un recruteur de l'ESN Devoteam. Dans l’informatique, les délais de recrutement en 2021 ont oscillé entre 3 et 6 mois, selon une étude de l'Apec publiée le 7 juin. Les salaires sont la première variable d'ajustement. Quand elles ne peuvent pas suivre, les entreprises sont obligées de revoir à la baisse leurs exigences et de recruter des profils moins expérimentés. Ce qui conduit certains jeunes diplômés à se montrer parfois très gourmands.

Inflation salariale

"Sur les jeunes diplômés avec un profil d'ingénieur bac+5, la hausse est quasiment de 2000 euros par an. Le minimum en sortie d'école, dans les secteurs de la data, du DevOps ou de la cybersécurité, est de 40 000 ou 42 000 euros bruts par an. Mais ils reçoivent des offres qui peuvent monter jusqu'à 45 000 ou 48 000 euros", détaille Devoteam. L'ESN accorde des primes de cooptation de 1500 à 3000 euros pour ses salariés qui l'aident à dénicher de nouvelles recrues.

"Les candidats sont devenus des rockstars, ils réclament des salaires mirobolants à la sortie d'école. Un DevOps cloud, par exemple, sans expérience, c'est minimum 45 000 euros ! Auparavant, c'était un salaire que l'on atteignait après 3 ou 4 ans d'expérience", témoigne la fintech PayPlug, qui a 36 postes ouverts dans la Tech actuellement. "Depuis trois, quatre ans, ce sont les candidats qui nous font passer des entretiens." Il est d'ailleurs assez courant que les recruteurs se fassent "ghoster" par des candidats. Julie Bonnot, consultante manager chez Héméra, un cabinet de conseil en transformation digitale, se souvient d'avoir appelé un candidat pour un 2e entretien. Il n'a jamais donné de nouvelles.

"L'inflation, en 3 à 6 mois, est incroyable", confirme Treezor, une fintech de 200 personnes, spécialiste du banking as a service, qui appartient au groupe Société Générale. "Les licornes, qui ont levé des fonds, font de la surenchère sur les salaires. Je peux vous citer l'exemple d'un DevOps qui est parti au bout de trois mois pour multiplier par deux son package. Dans ce secteur, les gens peuvent être augmentés plusieurs fois par an", nous raconte Aurélie Blanchet, la DRH.

La croissance des salaires est également très rapide. Au bout de 8 ou 10 ans, un DevOps peut gagner 100 000 euros par an.

d'autres arguments à valoriser

Dans ce contexte hyper-concurrentiel, les salaires dans certains métiers, en province, sont désormais quasi-équivalents aux salaires parisiens dans de nombreuses start-up. Même dans les entreprises dont le siège historique est en province, comme la Macif établie à Niort, qui recrute entre 50 et 60 CDI par an dans la tech. Confrontée aux mêmes problèmes que tout le monde, la mutuelle a commencé à ouvrir des postes à Paris pour être en mesure de capter certains profils, nous confie son responsable RH IT, Alexandre Daoust. Elle mise aussi sur l'alternance, pour essayer de fidéliser la vingtaine de profils qu'elle recrute sur ce mode chaque année.

Face aux ponts d'or des licornes et à l'attractivité des Big Tech, les start-up et les entreprises des secteurs traditionnels mettent en avant d'autres arguments : la formation, la qualité de vie au travail, les horaires flexibles, le télétravail, la possibilité de travailler depuis la province en venant seulement trois ou quatre jours par mois au bureau à Paris… Certaines peuvent aussi jouer sur le nombre de RTT, car nombre d'entreprises technologiques relèvent de la convention collective Syntec, pas la plus généreuse en la matière.

Mais faire miroiter des massages gratuits, de la nourriture à volonté et des fêtes entre collègues ne s'avère pas suffisant. Les professionnels privilégient la qualité des projets qu'on leur propose, l'intérêt des missions, l'usage des dernières technologies, et la montée rapide en compétences.

Axa, par exemple, qui recrute cette année 800 CDI et CDD en France en interne sur des postes tech, valorise l'évolution professionnelle à deux ans. Il faut aller vite, pour ne pas laisser le temps aux professionnels de s'ennuyer, comme en témoigne Paul, un ingénieur data de 24 ans qui était là pour rencontrer des recruteurs de manière "plus humaine" que sur les réseaux. "Techniquement, je stagne. J'arrive à la limite de ce que peut m'offrir mon entreprise", explique-t-il. Il affiche un an et demi d'expérience.

spammés sur linkedin

Un recrutement plus "humain", c'est ce que viennent chercher la plupart des jeunes professionnels que nous avons rencontrés. LinkedIn est aujourd'hui un canal de sourcing privilégié dans ce secteur, et les candidats y sont très courtisés. Au point, pour certains, de recevoir plusieurs démarchages par jour, pas toujours bien ciblés d'ailleurs. Pierre, étudiant à l'Epita, ne sera diplômé que dans un an et demi. Comme son ami Mathieu, ils sont déjà contactés sur le réseau professionnel.

Léo, un consultant data de 26 ans, est bien organisé. Il trie les sollicitations, et s'organise des demi-journées d'entretiens, qu'il se débrouille pour rattraper car il est en télétravail à plein temps. Pas encore décidé sur son projet, il ne bougera pas à moins d'obtenir 15 à 25% de plus sur sa fiche de paye.

Le secteur où les professionnels ont définitivement le plus de mal à recruter est celui de la cybersécurité. Les candidats appartenant à cette branche étaient les moins nombreux sur le forum, d'après les organisateurs : seulement 5% des participants (les plus nombreux étant les développeurs, qui représentaient 45% du public). Le seul que nous avons croisé lors de ce reportage, un expert de la sécurité dans le cloud, n'est pas près de reprendre un CDI. En freelance depuis janvier, il est déjà complètement débordé et parvient à dégager plus de revenus avec son activité de consultant indépendant que les 120 000 euros bruts que lui rapportait son dernier poste.

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