"Nous travaillons sur un processus de fabrication entièrement numérisé", explique Jay Rogers, CEO de Local Motors

À son retour d’Irak en 2005, le marine de l’armée américaine Jay Rogers décide qu’il doit faire quelque chose pour rendre le monde meilleur. Passionné d’automobile, il crée une entreprise automobile d’un nouveau genre, Local Motors, en 2007. Elle s’appuie sur la communauté open source pour produire localement, avec des employés locaux, des petites séries de véhicules répondant aux besoins de la population locale. Au passage, il crée aussi un nouveau modèle de production plus intégré, presqu’entièrement numérisé, dans des micro-usines. Jay Rogers a raconté à l’Usine Nouvelle les rouages de son entreprise et partagé sa vision de la transformation de l’industrie automobile.

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L'Usine Digitale - Pouvez-vous nous expliquer le modèle Local Motors ?

Jay Rogers - Nous avons fait de notre théorie de départ une réalité : une production à petite échelle, qui arrive sur le marché beaucoup plus vite, avec une production et une vente locales. Et pour y arriver, nous nous appuyons sur une communauté open source de design et d’ingénierie matérielle.

La première clé de votre modèle réside donc le crowdsourcing auprès d’une communauté open source ?

Il ne s’agit pas du crowdsourcing, mais de co-création, qui s’appuie à la fois sur une communauté que l’on a construite et une communauté open source qui compte plusieurs centaines de milliers de membres dans 130 pays (recrutés entre autres via des concours Local Motors, ndlr). Et 12 de nos 25 designers et ingénieurs développement et fabrication y contribuent en permanence. C’est l’ensemble qui est activé. Et l’on paie des royalties aux membres de la communauté qui ont eu l’idée de ce design et qui ont travaillé à la conception et à l’ingénierie, lorsqu’un modèle est vendu.

Comment sélectionnez-vous et rémunérez-vous les idées ?

Il n’y a pas un procédé unique. Cela dépend du degré d’avancement de l’idée. Des experts de Local Motors peuvent sélectionner un top 10 et faire voter la communauté. Parfois, seule la communauté vote. D’autres fois, l’entreprise prend la décision finale. Au début, on signait simplement un gros chèque aux participants. Mais notre objectif désormais, c’est de donner 2 % du fruit des ventes au leader du projet, et encore 2 % à ceux qui y ont collaboré.

Toutes les idées de départ viennent-elles de la communauté ?

Non, elles proviennent de cinq sources différentes. De la communauté, bien sûr, mais également des clients. C’est comme ça qu’a démarré notre véhicule urbain pour Berlin. Nous pouvons aussi partir d’une idée sur laquelle quelqu’un a déjà avancé en termes de conception ou d’ingénierie. L’idée peut aussi venir d’un produit déjà commercialisé par d’autres, mais que nous voulons améliorer. Enfin, il peut s’agir d’un de nos produits, que l’on continue d’améliorer, en permanence, après sa sortie. Et ça, c’est vraiment notre objectif.

Votre autre spécificité, ce sont des processus de fabrication nouveaux, très concentrés, dans des micro-usines et avec de plus en plus d’impression 3D. Comment cela fonctionne-t-il ?

Dans notre micro-usine, nous avons des lignes de production traditionnelles, avec 30 ouvriers (sur 105 employés au total, NDLR). Quant à l’impression 3D, il y a seulement un an, on ne l’utilisait vraiment qu’à une toute petite échelle. Mais aujourd’hui, il y a une véritable opportunité. Et nous travaillons sur l’idée du Direct Digital Manufacturing, un processus de fabrication entièrement numérisé depuis le design, la conception jusqu’à la fabrication. Sans intervention humaine.

Est-on encore loin de ce processus complet sans intervention humaine ?

Non, nous en sommes très proches. Nous récupérons les fichiers de départ directement dans la communauté en ligne. Ils sont améliorés par les membres de l’équipe de co-création dans la plate-forme collaborative que nous avons développée. Ensuite, ça part dans le processus d’ingénierie, jusqu’à la production et l’assemblage. Ce qu’il est intéressant d’observer, c’est qu’aujourd’hui, il n’y a que dans cette dernière phase que des hommes interviennent directement.

Combien de micro-usines avez-vous ? Et comptez-vous en construire en Europe ?

Aujourd’hui, nous n’en avons qu’une seule, à Phoenix (Arizona). Mais nous en ajouterons deux cet été dans le Tennessee et à Washington. On a aussi ouvert un bureau à Berlin car nous espérons en construire une en Europe. Nous avons étudié l’Allemagne, mais aussi le sud de la France. Depuis que Toulouse et Montpellier font partie de la même grande région, c’est plus intéressant pour nous. Notre modèle ne tient qu’à partir de 5 à 6 millions de clients locaux. Et là, c’est le cas.

En janvier 2015, vous avez imprimé en 3D un de vos modèles en 44 heures avant de lui intégrer des équipements venant de la Twizzy de Renault. Comment travaillez-vous avec le constructeur français et allez-vous continuer ?

Leur groupe motopropulseur s’adaptait parfaitement pour compléter le véhicule que nous avons imprimé. Et nous avons ainsi prouvé qu’on pouvait construire ce véhicule avec eux. Mais rien de plus pour l’instant. Nous n’avons pas d’équipe commune ni de collaboration. Mais nous aimerions travailler avec eux. Si c’était le cas, cela dit, ce serait pour acheter des composants chez eux mais fabriquer pour notre marque. Reste que les très grands groupes souhaitent rarement être vus en train de collaborer avec des petits.

Comment imaginez-vous l’industrie automobile de demain ?

L’automobile a longtemps été un marché de masse qui permet une économie d’échelle. Aujourd’hui, l’ensemble est comme un grand verre que l’on remplit avec de gros cailloux. Et nous, nous venons remplir l’espace restant avec de l’eau. Certains des gros rochers vont éclater, d’autres vont résister. Nous ne remplaçons pas l’industrie traditionnelle, nous faisons grossir le gâteau global. Aujourd’hui, les véhicules sont produits par millions et leur technologie reste la même. Il faut près de 7 ans pour la changer. Nous, nous produisons 300 véhicules d’un modèle, ce qui nous permet de très vite faire évoluer leur technologie.

Vous avez aussi travaillé avec GE sur une expérience combinant Fablab, micro-usine et chaîne de production traditionnelle. Est-ce une voie de transformation possible de l’industrie ? Y compris dans l’automobile ?

C’est certain. Avec des modèles issus de la communauté open source, travaillés dans un fablab, fabriqués dans une micro-usine, puis réinjectés dans un circuit de production classique comme celui de GE en cas de première réussite commerciale. Un des premiers produits FirstBuild, la marque des produits sortis de la micro-usine utilisée par GE, vient juste d’entrer en campagne de crowdfunding sur IndieGogo avec un fort succès. Paragon est un dispositif de cuisson de précision d’aliments sous vide. Et c’est surtout la preuve que la méthode Local Motors/FirstBuild fonctionne, avec GE du moins ! Mais, pour l’instant, les industriels automobiles ne sont pas très réceptifs.

Comment voyez-vous la transformation du travail inévitablement induite par cette transformation industrielle, avec très peu d’ouvriers, des employés en interne mais aussi des participants extérieurs dans la communauté open source ?

En fait, nous intégrons du travail de loisir (recreational labour, ndlr). Les membres de notre communauté sont passionnés d’automobile, et la plupart du temps ne travaillent pas dans cette industrie. Dans la communauté, ils travaillent sur les projets quand ils veulent. Mais pour que cela fonctionne, il est essentiel qu’on les chouchoute. Si on ne les prend pas en compte dans les processus, si on les ignore, ou qu’on maltraite leurs idées, ils partiront. On ne parle pas que de solutions avec eux, on parle aussi des problèmes et de la façon de les résoudre. Notre relation avec cette force de travail de loisir, c’est le partage. Ce mode de fonctionnement permet de bénéficier de ces personnes compétentes pourtant hors de notre industrie. Les idées viennent parfois des sources les plus étonnantes.

Propos recueillis par Emmanuelle Delsol

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