Obsolescence, écoconception, régulation... Est-il si simple de limiter l'empreinte environnementale du numérique ?
Le cabinet français Green IT a publié lundi 21 octobre 2019 une étude intitulée "L'empreinte environnementale du numérique mondiale". La conclusion est sans appel : en nombre d'équipements, la taille de l'univers numérique va quintupler entre 2010 et 2025. Le numérique passera ainsi de l'ordre de 2,5 % de l'empreinte de l'humanité à un peu moins de 6 %. Le rapport suggère quatre pistes de réflexion... parfois discutables.
Selon une étude* publiée ce lundi 21 octobre 2019 par le cabinet de conseil français Green IT, en 2019 il y a 34 milliards d'équipements pour 4,1 milliards d'utilisateurs dans le monde – soit huit équipements par utilisateur. Répartis inégalement sur le globe, ces derniers ne sont pas sans conséquence sur l'environnement et le changement climatique. Aujourd'hui, "l'univers numérique" pèse 223 millions de tonnes – soit autant que 179 millions de berlines moyennes. Cela correspond à cinq fois le poids du parc automobile français.
En nombre d'équipements, la taille de "l'univers numérique" va quintupler entre 2010 et 2025. Elle devrait passer de l'ordre de 2,5 % de l'empreinte de l'humanité à un peu plus de 6 %. En 2019, le premier facteur de pollution est la fabrication d'équipements suivie par la consommation électrique des équipements grand public. Lors de cette fabrication, ce sont surtout les étapes d'extraction des matières premières et leur transformation en composants électroniques qui induisent ce coût énergétique. Le cabinet français Green IT ne s'arrête pas à ce triste constat... et propose quatre solutions.
1/ Limiter le nombre d'objets connectés
Le nombre d'objets connectés va exploser en 15 ans. Selon cette étude, ils vont passer "d'un milliard en 2010 à 48 milliards en 2025". Logiquement, cette croissance s'accompagnera d'une hausse de leurs conséquences sur l'environnement. La première solution proposée par l'étude consiste à réduire la quantité de ces objets. Facile à dire mais comment y arriver concrètement ? Cette diminution doit d'abord passer par "une sensibilisation du grand public et des pouvoirs publics" à cet enjeu. Mais les auteurs de l'étude sont conscients que la volonté politique ne suffira jamais à faire suffisamment bouger les lignes. Deux leviers sont alors proposés : la mutualisation et l'allongement de la durée de vie des objets connectés, en ouvrant leurs API.
La mutualisation consiste "par exemple, à l'échelle d'un immeuble, à agréger les modems DSL/ fibres et les boîtiers TV associés à un seul dispositif centralisé". Techniquement, il n'y a pas d'obstacle a priori pour procéder à de telles installations. Economiquement, les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) ne verraient probablement pas ça d'un bon œil. De plus, les auteurs conseillent que les interfaces de programmation d'application (API) soient ouvertes pour garantir que l'objet pourra être utilisé "même si le fournisseur de données/contenu disparaît". Ainsi, leur durée de vie sera allongée, "ce qui permet d'amortir sur une plus longue durée d'utilisation leurs impacts liés à leur fabrication".
On note cependant que le business model de beaucoup d'objets connectés repose sur les services associés et pas sur le matériel en lui-même et qu'en ouvrir les API irait à l'encontre de cette stratégie. Par ailleurs, le problème de la disparition des entreprises n'est pas la principale cause d'obsolescence de ces objets.
2/ Réduire la taille des écrans
Plus un écran est grand, plus il est énergivore. "Le doublement de la diagonale moyenne de 31 pouces à 35 pouces sur la période 2010-2025 contribue très significativement à l'augmentation de l'impact de l'univers numérique", peut-on assez logiquement lire dans l'étude. Mais réduire les conséquences sur l'environnement ne doit pas (et surtout ne peut pas) aller à l'encontre de la demande des consommateurs.
Deux solutions peuvent ainsi compenser l'augmentation de la consommation électrique sur la phase d'utilisation : la réalité virtuelle ou augmentée et les vidéos-projecteurs LED. Pour les usages personnels, les casques VR sont une bonne alternative mais ne remplaceront pas directement le téléviseur familial car ils ne répondent pas aux mêmes usages. Les vidéos-projecteurs LED permettraient de concilier deux tendances opposées : augmenter la diagonale tout en réduisant "les impacts associés à la fabrication (comparativement à un écran plat)".
Comme pour les objets connectés, l'étude mentionne la possibilité de mutualiser les équipements dans les habitats collectifs en installant "des espaces home cinéma partagés". Avantageux sur le papier, cette idée peut sembler un peu utopique. Déjà, parce que les logements doivent être équipés de parties communes appropriées, mais surtout parce qu'elle repose sur le volontariat. A l'ère d'une personnalisation toujours plus poussée de la consommation, qui accepterait une telle évolution ?
3/ Augmenter la durée de vie des équipements
La fabrication d'équipements est le premier facteur de pollution dans le domaine du numérique, soit "30 à 76 % de l'empreinte mondiale". La décision à prendre est simple : "Il faut en fabriquer moins et les utiliser plus longtemps". Mais comment faire ? Le cabinet Green IT porte son attention sur "l'allongement de la durée de garantie légale". La garantie légale de conformité est valable deux ans en France, période durant laquelle le vendeur a l'obligation de réparer, de remplacer ou de rembourser l'appareil défectueux. En toute logique, si cette durée était plus longue, les équipements seraient remplacés moins souvent. L'étude estime par ailleurs que cette obligation est "déconnectée de la vie réelle des équipements : 5 à 7 ans pour un ordinateur portable, 7 à 10 ans pour un écran d'ordinateur…".
Nombreuses sont les associations qui se battent depuis plusieurs années à ce sujet. Elles exigent que la durée de garantie légale s'applique aussi bien au fabricant qu'au vendeur, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. En effet, la garantie ne jouant qu’à l’égard du vendeur, celui-ci doit ensuite se retourner contre le fabricant, lequel est libre de lui opposer une garantie plus courte que deux ans. Au-delà de l'aspect juridique, on note aussi une absence de réalisme quant à la conception et la fabrication des équipements électroniques. Ces procédés répondent à une multitude de contraintes (taille, poids, prix, consommation énergétique...) et en transformer l'économie n'est pas qu'une affaire d'obligation légale.
Par ailleurs, le cabinet se penche sur la gestion des déchets. "En France, le taux de collecte des déchets d'équipements électriques et électroniques plafonne autour de 45 %", déclare l'étude... avant d'ajouter curieusement "pour diverses raisons trop longues à évoquer". Concrètement, il faudrait instaurer une consigne suffisamment élevée "de l'ordre de 10 % minimum du prix de l'équipement" pour dissuader le consommateur de s'en passer. La gestion des déchets passe également par la phase de "réemploi" déjà prévue par la directive européenne du 27 janvier 2003. Elle repose sur la responsabilité élargie du producteur tout au long de vie de l'appareil. Or ce texte est insuffisamment appliqué. Green IT exige des politiques européennes un coup de collier pour faire avancer les choses.
4/ Réduire les besoins des services numériques
"L’écoconception des services numériques vise à réduire leurs impacts environnementaux dès leur conception", est-il mentionné dans l'étude comme quatrième et dernière solution. Le terme d'écoconception est depuis longtemps utilisé dans le discours politique pour désigner le processus d'intégration des problématiques environnementales dans la conception des biens et services.
Cette notion est vide de sens car elle désigne un nombre incalculable d'actions à engager à différentes échelles : l'extraction des matières premières, la production, la distribution, l'utilisation, la fin de vie. Le but de l'écoconception est la préservation des ressources et la prévention des pollutions. Il est donc regrettable que cette solution arrive en dernier dans l'étude alors qu'elle englobe les trois précédentes. Il aurait été plus logique de la mentionner en introduction pour montrer que la lutte contre le changement climatique demande une approche transversale, du consommateur au fabricant.
D'après l'étude, ces préconisations devraient permettre de "réduire l'empreinte par utilisateur de -27 %" des émissions de gaz à effet de serre et "à -52 % pour l'eau". Elle conclut sur la nécessité d'une "posture de sobriété" en faisant référence au mouvement de "low-tech". Le rapport oublie de mentionner que la technologie n'est pas que la source du problème, mais peut être également une solution alors qu'il en donne lui-même un exemple (remplacer les écrans plats par des casques de réalité virtuelle). De plus, l'étude semble, parfois, déconnectée de la réalité économique. Peut-on vraiment parier sur une réduction des objets connectés alors que ce marché explose ? Elle aurait, par exemple, pu présenter à la place de nouveaux procédés de fabrication pour remplacer l'extraction de minerais.
*L'étude repose sur une méthodologie d’analyse de cycle de vie (ACV) et s’appuie sur trois modèles de quantification d’impacts environnementaux (utilisateurs, réseaux, centres informatiques) agrégés par un méta modèle. Quatre indicateurs environnementaux ont été retenus : l'épuisement des ressources abiotiques (ADP), le réchauffement global (GES), le bilan énergétique (EP) et la tension sur l'eau douce (Eau). Ils ne témoignent que partiellement de l’empreinte environnementale du numérique.
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