"On va réserver 2 % des achats publics aux produits innovants", promet Fleur Pellerin
Le 11 avril se tient la première conférence sur l’achat public innovant. Fleur Pellerin, la ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Economie numérique explique à L’Usine Nouvelle pourquoi il est urgent de changer la culture achat des administrations, en lui fixant un objectif de 2% d’achats innovants d’ici à 2020. Presque un "small business act" à la française.
L’Usine Nouvelle - En pleine crise, maintenir les annonces sur l’innovation est-ce une stratégie politique ?
Fleur Pellerin - Il est important de parler d’innovation, car cela permet de se projeter dans l’avenir, de dégager une politique de croissance. De parler du futur. Mais ce n’est pas une stratégie de communication.
On a du mal à cerner votre politique globale d’innovation. Pouvez-vous la préciser?
Toute notre stratégie actuelle, en période de croissance ralentie, consiste à travailler à la montée en gamme de notre économie. Elle passe nécessairement par l’innovation et la transition numérique. Mon portefeuille est donc stratégique pour notre économie. Mais l’innovation est un concept polymorphe, qui n’est pas facilement identifiable en termes de politique publique. Il était donc très important de mener un état des lieux et d’avancer des pistes. C’était l’objectif du rapport commandé à Pierre Tambourin (le directeur général de Génopole) et à Jean-Pierre Beylat (le directeur des Alcatel-Lucent Bell Labs France), qui nous a été remis le 5 avril dernier. Mais je travaille aussi avec Geneviève Fioraso sur les transferts de technologie.
Le rapport sur l’innovation Beylat-Tambourin avance-t-il de nouvelles pistes ?
Il est vrai qu’il y a déjà eu de nombreux rapports sur l’innovation, comme sur la simplification, d’ailleurs. Le problème c’est de les mettre en oeuvre. Pour une fois, on va le faire. Ce rapport constate la nécessité de mettre en place une véritable politique d’innovation, ambitieuse, et régulièrement évaluée. Ce serait une première dans notre pays, comme l’a été la création d’un ministère de l’Innovation. Ce n’est pas anodin, car toute la société est concernée. Le rapport met par exemple en avant l’importance des éléments culturels. C’est un sujet sur lequel nous avons également réfléchi dans le cadre des assises de l’entrepreneuriat. Et j’y travaille aussi avec Vincent Peillon et Geneviève Fioraso. Car il est important d’inculquer aux jeunes cette culture de l’entreprise, de l’entrepreneuriat, de l’innovation. Il est important de former les esprits dès le plus jeune âge à la curiosité, au risque, sans lesquels on ne peut pas développer la culture d’un pays en faveur de l’innovation.
Mais concrètement ?
Il y a une constante dans les pays que nous avons observés et où se créent beaucoup de start-up : les acteurs, regroupés en écosystèmes, sont alimentés directement ou indirectement par le public. Il est donc très important que l’État, qui a une force financière via la commande publique, puisse impulser cette culture de l’achat innovant à l’ensemble de l’économie. On va donc réserver 2% des commandes publiques à des produits innovants de moins de trois ans. Cela représente un objectif de 500 millions à 1 milliard d’euros d’achats d’innovations supplémentaires pour les entreprises innovantes.
Cela ressemble au "small business act" américain. Or jusque-là, il paraissait impossible à mettre en place. Comment allez-vous faire ?
Jusqu’à maintenant, le principal frein était culturel. Ce n’était donc pas un problème d’outil, mais d’animation. La culture de l’achat public est très conservatrice et peu tournée vers l’innovation, les directeurs des achats étant plus habitués à avoir des interlocuteurs dans de grands groupes, que dans des PME. Nous voulons la transformer en lançant une démarche interministérielle, pour sensibiliser les acteurs à l’achat innovant. Avec des objectifs chiffrés. Nous allons aussi organiser la rencontre entre ces acheteurs et les PME innovantes, grâce à une sorte de "speed-dating" ou de place de marché. Ce jeudi 11 avril se tient une première rencontre avec 300 personnes, moitié administration et moitié entreprises. Nous remettrons aux acheteurs un guide des achats innovants, et voulons leur faire prendre part à ce changement de culture. L’autre moitié des participants seront des PME innovantes.
Cette initiative est d’autant plus nécessaire dans le contexte de modernisation de l’action publique et de la maîtrise des dépenses publiques. L’achat innovant peut être un levier. Pour donner l’exemple, le ministère du Redressement productif va généraliser l’usage de cartes de visite perpétuelles, que propose la jeune entreprise innovante Buzzcard. On accède aux données à jour sur internet, via un QR-code.
Des indicateurs de suivis sont-ils prévus ?
Pour accompagner cette démarche, nous allons rendre publiques des données relatives aux achats publics : les montants, les secteurs concernés, la part de PME. Le principe de la publication de ces données figure dans le code des marchés publics, ce qui touche donc non seulement l’État mais aussi les collectivités locales et les hôpitaux. Pour que ce principe devienne réalité, les jeux de données vont êtes disponibles en "open data" via le service Etalab, et pourront donc être exploités et analysés de manière très fine.
De plus, ces rencontres seront renouvelées tous les trois mois. Nous souhaitons aussi que les collectivités territoriales, qui sont de grands acheteurs, s’en inspirent.
Quel périmètre donnez-vous à la notion d’innovation ? Y incluez-vous les achats de design par exemple ?
Nous avons une conception très extensible de l’innovation. Je me suis d’ailleurs battu durant la campagne présidentielle pour élargir le crédit d’impôt recherche à l’innovation. Mais définir le périmètre des dépenses éligibles pour le code des impôts n’est pas si évident. On a néanmoins tenu à ce que le design, notamment, soit éligible. Il a, jusqu’à aujourd’hui, été le parent pauvre des politiques publiques. Or, comme pour les jeux vidéo, nous avons une superbe équipe de France du design, même si elle n’est pas forcément très structurée. Et le design fait à l’évidence partie des éléments de compétitivité hors prix de l’économie qui ont un très fort effet de levier. Il y a énormément à gagner grâce au design, y compris dans les secteurs traditionnels de l’industrie.
Propos recueillis par Aurélie Barbaux
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