
Co-fondateur de The Family, Nicolas Colin ne dédaigne pas les choses de l’esprit et le débat d’idées. Ceux qui ont assisté aux séances de "Les barbares attaquent...", qui suivent son blog ou qui ont lu L’âge de la multitude, le livre qu’il a écrit avec Henri Verdier le savent.
La longue interview retranscrite cette semaine dans L’obs (*) est une preuve supplémentaire. Car pour étayer son propos, Nicolas Colin évoque un économiste d’origine hongroise aussi peu connu du grand public qu’il est capital pour comprendre la modernité : Karl Polanyi.
Tensions entre l'économie et le politique
Nous vivons, explique Nicolas Colin, ce qu’il appelle un "moment Polanyi", soit un moment où le modèle économique dominant change alors que les institutions politiques et sociales tardent à le faire. Résultat : il se produit un hiatus, les changements économiques provoquant des tensions que les institutions politiques ne peuvent plus résoudre. Elles sont inadaptées. Dans son livre phare paru chez Gallimard "La grande transformation" Polanyi explique ainsi comment la mutation du capitalisme industriel au début du vingtième siècle a débouché sur l’avènement du nazisme en Allemagne, en simplifiant la pensée subtile de cet auteur.
Nous serions dans le même type de situation pour le fondateur de The Family. Le remplacement de l’économie de type fordiste par une économie numérique, explique Nicolas Colin met sous tension les sociétés occidentales. Pour lui, le Brexit en est un symptôme. La victoire de Donald Trump ou encore la manière dont s’impose un discours autoritaire en France le sont aussi. Nicolas Colin pointe alors un risque faciste qu’il décrit comme "la passion de la restauration d’un ordre ancien et d’une prospérité mythique." Il oublie un peu vite que le facisme des années 30 n’était pas un pur mouvement réactionnaire, mais adoptait une vision moderniste. Le culte de la vitesse, des voitures de course, le goût pour une architecture moderne adaptée à un homme nouveau est très loin de la seule nostalgie en vue de la restauration d’un monde ancien, à moins d'appeler facisme tous les régimes totalitaires.
Le protection sociale au coeur de la recomposition
Ceci dit et pour revenir au monde contemporain, le Brexit, selon Nicolas colin, montrerait l’impuissance de la construction européenne à protéger les citoyens face aux nouveaux défis posés par l’économie numérique. "L’union européenne est un pilier fondamental de l’économie fordiste de la seconde moitié du XXe siècle… Aujourd’hui dans la transition que nous vivons, elle ne protège plus. L’Union européenne est aussi impuissante face au nouveau paradigme que l’étalon-or et le libre-échange au début du XXe siècle", explique Nicolas Colin. Pour remédier à la situation, il est urgent de définir de nouvelles institutions qui seront adaptées au nouveau paradigme économique. "Il faut, par exemple, découpler la couverture sociale et le contrat de travail pour accompagner des parcours professionnels de plus en plus intermittents et accidentés", propose Nicolas Colin.
Deux écueils menacent le corps politique : être tenté de vouloir retourner coûte que coûte à l’état d’avant, ce que propose, par exemple Donald Trump avec son slogan passéiste "Make America great again" ou les partisans du Brexit. Le second risque est d’essayer de faire entrer la nouvelle économie qui se met en place dans le modèle d’hier. C’est tout bonnement impossible.
L'exception Macron
La situation française n’est guère plus enviable. "Depuis trente ans, en France, les campagnes électorales ne parlent que de restaurer le passé, pas de la transformation qui vient", regrette-t-il. Cruel, celui qui se présente un homme de gauche, brocarde le bilan économique de François Hollande : "le pacte de compétitivité ce sont des mesures dont tout le monde rêvait dans les années 1990 ; la loi travail, quant à elle, cherche à résoudre le rapport de force entre patrons et syndicats des années 80", décrypte-t-il.
Paradoxalement, il estime qu’au sein du personnel politique français, seul Emmanuel Macron "sort du lot", oubliant ou feignant d’oublier que celui-ci a été comme conseiller économique de François Hollande, puis comme ministre de l’Economie, le soutien voire l’instigateur de cette politique (notamment pour le pacte).
Pour Nicolas Colin, le problème d’Emmanuel Macron est ailleurs : il refuse le clivage gauche droite, alors que pour aider les institutions idoines au nouveau monde qui vient, il faut re-créer du clivage, des rapports de force renouvelés pour faire émerger des solutions efficientes. Et de conclure "le clivage gauche-droite à l’échelle d’un pays, c’est une question de protection sociale. Or personne n’en parle, pas même Emmanuel Macron."
En ne voyant que le ministre de l'Economie, Nicolas Colin oublie, par exemple, le dernier livre de Nathalie Kosciusko Morizet paru aux éditions Albin Michel "Nous avons changé de monde". A moins qu’il l’ignore à dessein, considèrant qu'étant minoritaire au sein de son parti, elle a peu de chances de peser sur le cours de l’histoire ces prochains mois…
- (*) L'interview intégrale de Nicolas Colin peut être consultée en ligne sur le site de l'Obs ou dans le numéro 2697 du 14 au 20 juilllet de l'Obs. Elle a été réalisée par Sophie Fay et Claire Doisy.
- Sur son compte Medium Nicolas Colin a publié un long billet (en anglais) sur le Brexit comme moment Polanyi
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