Quels produits virtuels peut-on revendre ?

A l’heure de la multiplication des produits ou biens purement virtuels, se pose avec acuité la question de leur revente. En effet, si pour des produits ou des biens matériels, le principe de la revente est acquis (sous conditions), il ne semble pas en aller de même pour les produits ou biens virtuels. Pascal Agosti, avocat associé du Cabinet Caprioli & Associés, fait le point sur les règles applicables.

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Quels produits virtuels peut-on revendre ?

La libre circulation des marchandises constitue, avec la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, l'une des quatre libertés fondamentales concourant à la réalisation du marché intérieur. Lequel est présenté dans le titre I de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) intitulée "Les politiques et actions internes de l’Union". La Cour de justice considère que les dispositions qui consacrent ces libertés sont "fondamentales pour l’Union", ce qui explique notamment que toute entrave, même mineure, sera prohibée (CJUE, 5 déc. 2013, aff. C-514/12).

Droit d'auteur et libre circulation

La Cour souligne également que la liberté de circulation des marchandises constitue "un principe fondamental du traité" (CJUE, 19 nov. 2020, aff. C-663/18, BS et CA) ou encore "une liberté fondamentale garantie par le traité" (CJUE, 10 sept. 2014, aff. C-423/13).

Si l’on se fie à ces développements, l’acquéreur d’un bien ou produit virtuel devrait en principe pouvoir le céder librement au sein de l’Union européenne en vertu de la règle de l’épuisement des droits. La logique communautaire reviendrait donc à considérer que le droit d’auteur s’efface face au principe de la liberté de circulation des œuvres. Mais il n’en est rien.

Epuisement des droits et logiciel

En effet, l’article 4, § 2 de la Directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur dispose : "La première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler les locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci".

L’épuisement du droit de distribution d’une œuvre de l’esprit ne permet pas à un auteur ayant autorisé sa reproduction et sa commercialisation de s’opposer à sa libre circulation et donc notamment à sa revente. A ce titre, la pratique de la revente des logiciels d’occasion a été reconnue par la CJUE le 4 juillet 2012.

Pour cette dernière, une licence "vaut vente" en dépit de la qualification voulue par les parties et d’une clause prévoyant son caractère "non-transférable", dès lors que l’usage du logiciel n’est pas limité dans le temps et qu’il y a eu paiement d’un prix correspondant à la valeur économique de la copie obtenue.

Quel sort pour un jeu vidéo ?

En 2016, l’association de défense des droits des consommateurs UFC – Que Choisir s’était émue du fait que les conditions générales d’utilisation de Steam, une plateforme de jeux vidéo en ligne éditée par la société Valve, interdisaient à ses utilisateurs de revendre les jeux vidéo dématérialisés ainsi achetés au motif qu’aucune différence de traitement n’était justifiée avec les jeux sur support physique.

Par un jugement du 17 septembre 2019, le Tribunal a donné raison à l’association de consommateurs, déclarant que cette clause parmi treize autres devait être réputée non écrite en raison de son caractère illicite ou abusif. La société Valve a interjeté appel. Dans un arrêt du 21 octobre 2022, la Cour d’appel de Paris a partiellement infirmé le jugement, estimant notamment que la clause interdisant la revente des jeux vidéo dématérialisés n’était pas abusive. Les jeux vidéo ne peuvent être limités à de simples programmes informatiques mais doivent être considérés comme des œuvres complexes comprenant – outre les composantes logicielles – de nombreux autres éléments tels des graphismes, une bande son et des éléments sonores, un scénario et des personnages.

La règle de l’épuisement du droit de distribution ne s’applique donc pas. En revanche, les jeux vidéo sont soumis aux règles de la "communication au public" par téléchargement, ce qui correspond à la "mise à disposition du public de l'œuvre de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement". La Cour infirme donc le jugement de première instance en ce que le titulaire des droits d'auteur a le droit d'empêcher la mise à disposition de son œuvre car cela ne constitue pas un acte de distribution soumis à la règle de d’épuisement.

Et pour les nouveaux produits virtuels ?

A la lumière de cette dernière jurisprudence, par analogie, un élément essentiel de l'analyse est de savoir si les produits virtuels commercialisés dans le métavers attachés à un NFT relèvent du droit d'auteur commun ou du logiciel. Cette précision aurait pour effet de limiter le champ d'application de la règle de l'épuisement aux seuls supports matériels ou non.

L'association d'un NFT à un produit virtuel suppose l'existence d'un programme informatique nommé "smart contract" permettant d'inscrire les NFT dans la blockchain et de gérer leur utilisation et leur transférabilité ainsi que les droits sur le sous-jacent numérique. Ce smart contract ne constitue pas l'objet principal de l'opération mais plutôt un accessoire permettant la fourniture et l'utilisation du produit virtuel et de son NFT. Le régime applicable aux produits virtuels associés à des NFT pourrait donc être celui du droit commun du droit d'auteur.

Pour l’heure, il s’agit encore de pistes de réflexion qui méritent d’être approfondies en fonction des initiatives législatives et des jurisprudences.

La question restant entière, prudence et rigueur demeurent les maîtres mots de ce nouveau pan de marché.

Pascal Agosti, avocat associé, docteur en droit

Caprioli & Associés, société d'avocats membre du réseau JurisDéfi


Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction.

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