"Microsoft a mis en place beaucoup de barrières qui forcent les clients à choisir Azure", Amit Zavery, Google Cloud
Le marché du cloud est plus stratégique que jamais avec l'essor de l'intelligence artificielle générative. Trois grands fournisseurs le dominent : Amazon, Microsoft et Google. Mais l'un d'entre eux dispose d'un avantage lié à sa riche histoire dans le monde de l'informatique : Microsoft. Windows et Office sont omniprésents en entreprise. En abuse-t-il ? C'est ce qu'avance Amit Zavery, VP/GM et Head of Platform de Google Cloud. Il s'est confié à L'Usine Digitale pour dénoncer ce qu'il perçoit comme des pratiques anticoncurrentielles qui nuisent aux clients en limitant leurs options.
Julien Bergounhoux
L'Usine Digitale : Vous pensez que le marché global du cloud n'est pas aussi concurrentiel qu'il pourrait l'être ?
Amit Zavery : Lorsque les entreprises passent au cloud, elles veulent des solutions ouvertes, transparentes et flexibles. Elles ne veulent pas se retrouver prisonnières d'un fournisseur. Mais malheureusement, pour beaucoup d'entre elles qui utilisent des technologies de la génération précédente comme Windows ou Office, c'est très compliqué. Microsoft a mis en place beaucoup de barrières qui forcent les clients à choisir Azure comme solution cloud.
Microsoft ne leur permet pas de choisir d'autres fournisseurs de cloud pour ces produits, ou alors les coûts sont démesurés. Je pense par exemple à Windows Server. Et pour être clair, il n'y a pas de barrière technique, c'est une stratégie commerciale pour forcer les clients à utiliser Azure. Cela passe par des restrictions sur les licences produit qui concernent uniquement ses principaux concurrents et qui n'ont pas de justification. Ce sont des tactiques que Microsoft utilisaient déjà depuis de nombreuses années et qui sont maintenant appliquées au marché du cloud.
Cela menace désormais le marché de l'intelligence artificielle, qui est en plein essor. Le cloud en est un élément essentiel, et se retrouver captif d'Azure avec des solutions d'IA qui ne proviennent que de Microsoft ne donnera rien de bon à long terme. Le résultat sera le même que sur les marchés des systèmes d'exploitation et des logiciels de productivité. C'est pourquoi il faut lever ces restrictions. Il y a également beaucoup de problèmes autour de la sécurité, ce qui rend les clients d'autant plus inquiets qu'ils n'ont pas d'alternative.
Mais est-ce que ce problème est seulement limité à Microsoft ? Au final, le numéro un mondial du cloud, c'est AWS...
Ce ne sont pas les seuls, et beaucoup d'entreprises apprennent de leurs pratiques, néanmoins c'est avec eux que c'est le plus flagrant, et leur impact est le plus significatif de par leur position dominante dans le secteur IT. Pour les entreprises dont le système d'information repose sur Windows Server, il n'y a pas de substitut. Les restrictions "full stack" qu'imposent Microsoft créent beaucoup d'angoisse chez les clients.
Pourquoi les entreprises clientes ne se manifestent-elles pas plus, si la situation est telle que vous la décrivez ?
De nombreux clients dépendent des produits de Microsoft, et les potentielles représailles auxquelles il pourrait se livrer les empêchent de se manifester. Par exemple en augmentant le prix lors du renouvellement des licences. Et puis regardez ce qu'il s'est passé avec Slack. Ils ont tiré la sonnette d'alarme mais Microsoft est quand même parvenu à imposer Teams grâce à ce genre de tactiques.
Est-ce qu'il y a des différences entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne concernant ces pratiques ? Le Data Act est par exemple censé simplifier le changement de fournisseur.
C'est un problème global. En effet, le Data Act est un pas dans la bonne direction concernant le transfert de données. Nous avons été les premiers à nous engager dans cette voie [le 11 janvier 2024, ndlr], puis Amazon Web Services et Microsoft ont suivi. Mais Microsoft n'a pas réellement supprimé l'essentiel des coûts pour migrer vers un autre opérateur. Il y a d'énormes pénalités à verser lorsqu'un client change de fournisseur, même pour aller chez OVHcloud par exemple, et ces frais-là sont toujours en place. Et puis les clients ne peuvent pas utiliser leurs licences Microsoft existantes chez un autre fournisseur de cloud. Au final, cela coûte 5 fois plus cher d'aller chez un autre fournisseur à cause de ces frais de licences. C'est une stratégie anticoncurrentielle.
Si je me place du point de vue de Microsoft, je pourrais vous rétorquer qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent avec leurs technologies, et que Google a aussi des technologies exclusives qu'il réserve à ses propres offres...
Sauf qu'on ne parle pas de nouveaux produits, mais de solutions que les clients ont déjà achetées et dont les conditions d'utilisation ont été modifiées a posteriori avec effet rétroactif. Microsoft s'en fiche que vous passiez d'un serveur HP vers un serveur Dell, mais il ne veut pas que vous passiez chez Google Cloud. Il veut pouvoir choisir ses concurrents, et pour ce faire il impose de nouvelles restrictions à ses clients. Ce problème n'existe pas pour les technologies natives au cloud, mais pour toute l'informatique d'entreprise existante qui migre désormais vers le cloud, c'est un sujet majeur.
J'en reviens quand même à AWS, leader du marché du cloud, qui ne semble pas aussi préoccupé que vous...
Je ne vais pas parler pour eux, mais ils font partie de l'association CISPE, qui a déposé une plainte contre Microsoft auprès de la Commission européenne. Cependant la question est de savoir si les clients sont désavantagés, ce n'est pas à propos de nous ou d'AWS. On doit laisser le choix aux clients, et ensuite que le meilleur fournisseur gagne. C'est aussi simple que cela.
Comment remédier à cette situation ? Les régulateurs sont déjà débordés, alors les faire se plonger dans le détail des contrats de licence IT...
L'informatique d'entreprise est un domaine complexe, c'est vrai, mais la portabilité des licences est au final un sujet assez simple. Il suffit de conserver les mêmes droits d'utilisation, sans forcer les clients à accepter des restrictions supplémentaires au bout de X années. Auparavant, les licences Windows pouvaient être utilisées n'importe où, mais pour le cloud, on vous empêche de les utiliser sur GCP ou AWS. Cela ne tient qu'à ça. L'autre domaine simple à adresser est celui des offres groupées qui n'ont pas de justification technique. On le voit par exemple pour les solutions de sécurité. Ce type de choix ne devrait pas être imposé aux clients.
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