"Accélérer la digitalisation des activités de financement du commerce international" : un rapport fondamental
La digitalisation des transactions du commerce international est sans doute le dernier domaine qui échappe encore au numérique. Il s’agit principalement des documents transférables électroniques (DTE) qui restent sous forme papier tout en représentant environ 4 milliards de documents par an. Paris Europlace et la ICC France ont œuvré pendant plus de 6 mois pour remettre le 29 juin un rapport aux ministres des Finances, de la Justice et du Commerce extérieur à leur demande. Eric A. Caprioli, avocat à la Cour de Paris, du cabinet Caprioli & Associés, en explique les principales orientations et recommandations.
Contexte
Les incertitudes relatives à la valeur juridique des documents transférables électroniques créent des obstacles pour le commerce international. C’est pourquoi la CNUDCI a adopté une Loi type de la CNUDCI en 2017 à destination des États pour qu’ils intègrent ses dispositions dans leur droit national. Les autorités gouvernementales françaises ont missionné le 28 novembre 2022 un groupe de travail présidé par Mme Béatrice Collot et M. Philippe Henry, avec Mme Sarah Teper de la Direction générale du Trésor, rapporteur.
Un rapport de 113 pages a été remis aux trois ministres concernés (Messieurs, Bruno Le Maire, Eric Dupond-Moretti et Olivier Becht) le 29 juin 2023 : "Accélérer la digitalisation des activités de financement du commerce extérieur". Des pays comme Singapour ont déjà adopté la loi-type, alors que d’autres comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne sont en cours d’intégration. La mission était composée de trois groupes : juridique, technique et advocacy. Plus de 100 interlocuteurs ont été auditionnés à l’occasion du rapport.
Contenu du rapport
La dématérialisation des documents du commerce international constituera un facteur de compétitivité pour les PME et ETI à l’exportation ainsi que pour la place financière de Paris. Ainsi, des gains importants devraient être générés : rapidité des paiements, meilleure maitrise des risques, fluidité de la chaine logistique et réduction des coûts des transactions. Or, les DTE ne sont pas reconnus en droit français à l’instar de la quasi-totalité des systèmes juridiques étant donné que ces documents incorporent traditionnellement des droits aux documents papier. L’utilisation de tels documents s’opère dans le crédit documentaire et les garanties internationales (ex : stand-by letters of credits).
Le rapport met en lumière les fortes attentes de l’écosystème français du trade finance qui paradoxalement repose quasi-exclusivement sur des documents papier contrairement aux opérations de consommation qui peuvent être entièrement dématérialisées (de la commande au paiement, y compris les annulations et autres retours). Les DTE concernent les entreprises exportatrices et importatrices, banques, assureurs, transporteurs et logisticiens et font l’objet d’un large consensus. Cela représente environ 395 milliards d’euros à l’échelle de la France. Le rapport formule des recommandations à destination des pouvoirs publics et aux différents acteurs du financement du commerce international.
Quatre objectifs principaux sont ciblés :
- Favoriser des cadres juridiques compatibles avec l’usage des DTE
- Promouvoir l’écosystème de la TradeTech en s’assurant de la disponibilité de solutions technologiques viables et utilisables
- Renforcer la représentation institutionnelle sur les sujets de financement du commerce international et la coordination entre les acteurs
- Saisir l’opportunité de la digitalisation pour améliorer l’attractivité du secteur du financement du commerce international
Le rapport recommande, au premier chef, l’adaptation du droit français par l’intégration des principes de la loi-type de la CNUDCI sur les DTE, avec un projet de loi qui figure en annexe du rapport. Cependant, il restera à bâtir une ou plusieurs plates-formes (registres centralisés ou registres distribués) pour créer et gérer les DTE avec la résolution des questions d’interopérabilité et de sécurité.
Le projet de lois
La mission propose aux trois ministères des propositions de dispositions législatives en annexe n°7 (p.99 à 105). Avant la remise du rapport, la proposition a été soumise aux différents ministères commanditaires et à la Direction du trésor. Ces dispositions figureraient dans une loi autonome.
Une première définition est posée : "constitue un titre transférable, l’écrit qui représente un bien ou un droit et qui donné à son porteur le droit de demander l’exécution de l’obligation qui y est spécifiée ainsi que de transférer ce droit." Les DTE visés par la loi sont : les lettres de change et les billets à ordre, les récépissés et warrants du code de commerce, les connaissements maritimes et les connaissements fluviaux négociables, les polices d’assurance à ordre, les bordereaux Dailly, ainsi que tout autre écrit à ordre ou au porteur répondant à la définition mentionnée ci-dessus sauf exception (art. 9 de la loi).
Le titre transférable est établi et signé conformément aux article 1366 et 1367 du code civil. Le porteur du titre transférable est celui qui dispose de son contrôle exclusif, pour lui-même ou pour un tiers, ce qui lui permet d’exercer les droits conférés par le titre, de le modifier, ou de le transférer.
Ensuite l’article 4 énonce que le titre électronique a les mêmes effets que le titre papier s’il contient les informations requises pour un titre transférable papier et qu’une méthode fiable est employée pour i) l’identifier comme un titre transférable électronique, ii) identifier pendant tout son cycle de vie les signataire et porteurs successifs, iii) établir le contrôle exclusif du porteur sur le DTE, iv) identifier ce porteur comme la personne qui en a le contrôle, v) préserver l’intégrité du titre et attester des modifications éventuelles.
Il est prévu qu’un décret définira les caractéristiques de la méthode fiable. Les conversions d’un titre transférable papier en électronique et vice-versa sont prévues. Les appositions de tampon, cachet, griffe ou autre, en sus de la signature, sont possibles par leur apposition horodatée d’une image qui reproduit fidèlement lesdits signes.
La loi ne s’appliquera pas à certains instruments (ex : chèques, instruments financiers, titres spéciaux de paiement dématérialisés, …). La proposition de loi envisage ensuite les modifications qui seront apportées au code de commerce, au code monétaire et financier, au code des transports et au code des assurances. Deux notes complètent la proposition sur le bordereau Daily et la digitalisation des connaissements et la douanes.
Finalement, cette proposition de loi s’avèrera précieuse pour le législateur dans la mesure où les dispositions sont claires et couvrent largement la transposition de la loi-type. Le rapport de Paris Europlace contribue grandement à ce qu’une loi puisse être votée au cours de six prochains mois.
Eric A. Caprioli, avocat à la Cour, docteur en droit
Caprioli & Associés, société d’avocats membre du réseau JurisDéfi
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