Comment la HAS bâtit sa stratégie IA au service de l’évaluation en santé
Loin des effets d'annonce, la Haute Autorité de Santé mise sur une intégration pragmatique de l'intelligence artificielle. Engagée depuis plusieurs années sur le sujet, l'autorité explore les apports de cette technologie pour alléger certaines tâches répétitives, comme l'analyse de la littérature scientifique. L'objectif : gagner en efficacité sans transiger sur la rigueur méthodologique, tout en insistant sur la nécessité d'une supervision humaine.
"Ce n’est pas demain qu’on demandera à une IA de nous produire une revue de littérature rigoureuse". Le ton est donné. Si la Haute Autorité de Santé (HAS) s'ouvre aux opportunités de l'intelligence artificielle, elle le fait avec prudence, réalisme mais surtout méthode. Cet organisme est, pour rappel, responsable de l'évaluation des produits et pratiques dans le domaine de la santé pour en garantir la qualité et éclairer les décisions publiques.
Traiter les connaissances textuelles
Les premiers jalons ont été posés en 2020 avec une stratégie dédiée afin de structurer les usages autour des données internes et de la littérature scientifique. "On avait déjà dit à l’époque que le sujet, pour la HAS, ce serait le traitement des connaissances textuelles", raconte Pierre-Alain Jachiet, responsable de la mission data au sein de l'autorité, à L'Usine Digitale.
Deux projets émergent rapidement. Un algorithme a été développé pour classifier automatiquement les événements indésirables liés aux soins. Un second permet d'analyser les résultats d'enquêtes patients, en identifiant les grandes thématiques évoquées dans les commentaires libres. "On parle souvent des repas dans les commentaires négatifs, par exemple", détaille l'expert.
Ces deux modèles reposent sur des méthodes traditionnelles de traitement automatique du langage naturel (NLP). Avec l'arrivée de l'intelligence artificielle générative, les perspectives s'élargissent. "Jusque-là, il fallait entraîner un algorithme spécifique pendant plusieurs mois pour chaque tâche, indique-t-il. Aujourd'hui, les grands modèles de langage ouvrent nettement les possibles." A partir de 2023, les équipes de la HAS s'intéressent à l'analyse ciblée de la littérature scientifique.
Le risque de reproduire les biais méthodologiques
Pierre-Alain Jachiet précise d'emblée qu'il est impossible de déléguer une revue de littérature à un modèle. Le risque est le suivant : reproduire les biais d'interprétation présents dans les abstracts (résumé d'un article scientifique). "Même dans deux ans, on ne pourra pas poser une question à un modèle pour qu'il nous reproduise une revue conforme aux standards méthodologiques", affirme-t-il. En revanche, l'IA générative peut assister certaines tâches, telles que la recherche de publication, la sélection d'articles ou encore l'extraction de données clés (taille de la population étudiée, biais méthodologiques...).
Un outil open source, "ASReview", est actuellement testé pour aider à la sélection des articles scientifiques. "C'est une étape très chronophage : les chefs de projets reçoivent plusieurs centaines d'articles à trier, détaille le responsable data. En les aidant à prioriser les lectures, on peut gagner un temps précieux." Il précise également qu'à l'heure actuelle, les tests sont qualitatifs et réalisés en condition réelle, sans modification du résultat final. "Ce n’est pas censé changer les résultats finaux, puisque tout est relu, mais si l’ordre de traitement est optimisé, c’est déjà un gain."
Ces expérimentations visent aussi à enrichir les bases de données internes, qui pourront à terme nourrir des analyses quantitatives. "Demain, si on peut dire qu’en lisant 200 publications on a capté 95% de l’information pertinente, on pourrait s’arrêter plus tôt, en s’accordant un risque maîtrisé", imagine-t-il. L'objectif étant que l'IA aide à rationaliser la quantité d'articles à lire, sans sacrifier la qualité des analyses.
Un réseau de référents pour trouver des cas d'usage
Plus généralement, l'approche est la suivante : identifier des cas d'usage, les tester et évaluer leurs impacts. "Si ça ne fonctionne pas, c’est aussi une information. On saura qu’il ne faut pas investir davantage sur ce cas d’usage", note Pierre-Alain Jachiet. Pour faire remonter les besoins de chaque service, un réseau d'une quinzaine de référents a été mis en place. Une veille complète le dispositif pour garder un oeil sur les pratiques en la matière des homologues de la HAS en Europe et à l'international.
Si l’IA s’intègre peu à peu dans les processus internes, son évaluation en tant que technologie reste marginale dans le périmètre de la HAS. "Notre porte d'entrée pour l'évaluation d'un dispositif est guidée par la voie du remboursement", rappelle Corinne Collignon, responsable de la mission numérique en santé au sein de la HAS, interrogée par L'Usine Digitale. Bien que le nombre de dispositifs intégrant de l'IA soit restreint, l'autorité s'est saisie du sujet dès 2017 en mettant au point une grille d'analyse interne pour mieux comprendre le fonctionnement de cette technologie et son apport dans le secteur de la santé.
L'un des principaux défis reste l'évolutivité des systèmes : "est-ce qu’on évalue un algorithme ou l’ensemble du système dans lequel il est intégré ? Et comment tenir compte de son évolution dans le temps ?", note l'experte. Elle précise que les quelques cas, candidats au remboursement, concernent le diabète, avec les boucles semi-fermées. Mais la majorité des outils, en radiologie ou dermatologie, restent hors du champ d’intervention de la HAS.
Sensibiliser à l'usage de l'IA dans les parcours de soins
Des guides pratiques sont également mis à disposition des professionnels, pour les aider à poser les bonnes questions ou à planifier leurs investissements technologiques. Par ailleurs, deux documents sont actuellement en préparation : l’un sur les bonnes pratiques d’usage de l’IA dans les parcours de soins, l’autre sur l’IA générative. Ce dernier vise à sensibiliser aux biais et limites de ces outils, tout en explorant leurs opportunités concrètes. La HAS suit aussi de près les avancées du futur règlement européen sur l’IA.
"L’objectif n’est pas de bloquer l’innovation, mais d’accompagner son déploiement de manière responsable et conforme aux exigences réglementaires", conclut Corinne Collignon. Car si l’intelligence artificielle ne remplacera pas l’expertise humaine, elle pourrait bien, à terme, lui faire gagner un temps précieux – à condition de toujours rester fidèle aux standards scientifiques.
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