L'IA divise : 95% des entreprises n'ont aucun ROI, 5% captent des millions
Une adoption élevée, une transformation faible. L'étude du MIT réalisée sur le premier semestre 2025 est sans appel : si 80% des entreprises ont exploré des outils comme ChatGPT ou Copilot, 40% seulement déclarent les avoir déployés. Et à la fin, ils ne sont plus que 5% à atteindre une phase de production avec un impact mesurable sur la performance financière. Mais alors que manque-t-il pour que toutes les entreprises qui embarquent l'IA générative dans leurs activités réussissent ? Retour sur trois types d'erreurs qu'elles doivent éviter à tout prix.
Célia Séramour
Les quatre chercheurs à l'origine de l'étude "The GenAI Divide: State of AI in Business 2025" du MIT (Project NANDA), Aditya Challapally, Chris Pease, Ramesh Raskar et Pradyumna Chari, sont formels : 95% des entreprises ne tirent aucun retour mesurable de leurs investissements en IA générative, tandis que 5% seulement captent une valeur significative (de l’ordre de plusieurs millions de dollars). Ce phénomène, baptisé "GenAI Divide", révèle un fossé entre l’adoption massive des outils (80% des entreprises les testent) et leur impact réel sur la performance financière.
Pour ce travail, les chercheurs se sont appuyés sur une approche de recherche multiméthode qui comprend une analyse systématique de plus de 300 initiatives publiques en matière d'IA, des entretiens structurés avec des représentants de 52 entreprises et les réponses à un sondage mené auprès de 153 cadres supérieurs lors de quatre grandes conférences sectorielles, le tout réalisé entre janvier et juin 2025.
L'objectif est simple : comprendre pourquoi, malgré 30 à 40 milliards de dollars investis dans l'IA générative par les entreprises, la quasi-totalité des organisations n’en tirent aucun retour mesurable. Retour sur une multitude de facteurs qui aboutissent à un même résultat : les entreprises finissent par se tirer une balle dans le pied.
Des erreurs technologiques qui handicapent la mise en oeuvre
Le premier problème et peut-être le plus handicapant pour les entreprises est celui du "learning gap", à savoir les outils qui n'apprennent pas et ne retiennent pas le contexte. Une avocate interrogée explique ainsi qu'elle utilise ChatGPT pour les premiers jets de contrats, mais pas pour les négociations finales, car l’outil ne retient pas les préférences clients ni les corrections passées.
En conséquence, les outils sont abandonnés dans 90% des cas pour les processus métiers critiques, limitant leur impact au brouillonnage ou aux tâches simples. L'adoption de systèmes dits "apprenants" (agents autonomes avec mémoire persistante via MCP notamment) pourrait être une solution, les Big Tech ont d'ailleurs opéré un virage à 90 degrés sur le sujet.
Autre problème, le déploiement de solutions génériques (des wrappers de ChatGPT) sans adaptation aux workflows existants. Le résultat est sans appel : parmi les solutions d'IA générative spécialement conçues pour les entreprises (appelées "enterprise-grade", c’est-à-dire robustes, sécurisées et adaptées aux besoins professionnels), 60% ne passent même pas la phase d’évaluation initiale pour être testées en conditions réelles (le "stade pilote").
Enfin, un sujet persiste : les entreprises sont séduites par des démos impressionnantes, mais les outils ne tiennent pas leurs promesses en conditions réelles. Un CIO interrogé indique avoir vu des douzaines de démos cette année et seulement une ou deux s'avéraient réellement utiles.
Des erreurs stratégiques qui brouillent l'avenir
S'il fallait retenir un point en particulier, c'est bien le biais d'investissement. Aujourd'hui, 50% des budgets GenAI sont alloués aux sales et au marketing (emails générés par IA, scoring de leads), alors que les plus grands ROI viennent du back-office (opérations, finance, compliance). Il y a un réel besoin de rééquilibrer les investissements et cibler les opportunités jusqu'alors manquées dans les fonctions à haut potentiel afin de pouvoir mesurer l'impact sur des coûts évités.
L'étude met également en avant le syndrome qu'ont les entreprises à surestimer leur capacité à développer en interne. Le taux de succès est de 33% pour les développements internes contre 67% pour les partenariats externes. Les causes sont pourtant connues : manque d’expertise métiers et coûts cachés (maintenance, dette technique) en haut de la liste. Des échecs qui deviennent coûteux et qui amènent à des retards dans la mise en œuvre.
Autre point de blocage dans la stratégie, l'obsession des entreprises pour les projets pilotes. Dans leur étude, les chercheurs du MIT font bien référence à des pilotes et non à des POC. Le problème qu'ils mettent en exergue est la multiplicité des pilots lancés simultanément sans stratégie de passage à l’échelle amenant à un taux d'échec de 95% des pilotes. En outre, le temps de déploiement dépend de la taille des entreprises – 90 jours pour les PME contre 9 mois ou plus pour les grandes entreprises. Les équipes en sortent fatiguées, les ressources gaspillées.
Parmi ces erreurs stratégiques, une s'adresse en particulier aux dirigeants : ces derniers attendent bien souvent des résultats spectaculaires et rapides, alors que l'IA générative optimise d’abord les processus existants. Dans les faits, seuls 2 secteurs sur 9 (technologie et médias) montrent une disruption structurelle tandis que les secteurs comme la santé, l'énergie ou l'industrie manufacturière restent inchangés malgré les pilotes. Un COO qui travaille dans l'un de ces secteurs résume tout : "Le battage médiatique sur LinkedIn laisse entendre que tout a changé, mais dans nos opérations, rien n'a fondamentalement changé. Nous traitons certains contrats plus rapidement, mais c'est tout ce qui a changé."
Des problèmes de gouvernance, de culture et de responsabilisation
Depuis l'apparition de ChatGPT dans la sphère publique, un nouveau terme est apparu en entreprise : le shadow AI. Et avec lui, de nombreux problèmes de coûts et de sécurité. L'étude révèle que 90% des employés utilisent des outils d'IA générative personnels (ChatGPT, Claude) pour contourner les solutions officielles, jugées trop lentes ou rigides. Seulement voilà, 40% des entreprises ont acheté des abonnements LLM officiels. En conséquence, l'entreprise perd en contrôle sur la data et les workflows, mais aussi en visibilité sur les vrais besoins des équipes.
"Les métiers sont trop peu impliqués". "Il faut absolument embarquer les métiers". Combien de fois en conférences, les participants ont-ils entendu ces phrases ? Et pourtant, les initiatives en matière d'IA générative restent très largement portées par des laboratoires centraux (IT, innovation) plutôt que par les managers opérationnels. Pourtant, les déploiements réussis sont ceux sourcés par les équipes métiers (comme le service client ou juridique) avec un soutien exécutif fort.
Et s'il faut embarquer les métiers, il faut le faire dans de bonnes conditions. Cela passe notamment par la formation des équipes et/ou l'adaptation de certains processus, sans quoi la faible adoption et la frustration se feront sentir. Ce qui amène à un autre défi : les projets d'IA générative manquent de métriques de succès définies et de suivi par un responsable. Faute de suivi, nombre d'initiatives sont donc abandonnées et les KPI business également.
Comment franchir le "GenAI Divide"
In fine, les entreprises qui s'accrochent et prennent le temps de bien suivre les étapes permettant de toucher du bout du doigt la réussite (les fameux 5%) montrent que le retour sur investissement est accessible, mais seulement avec une approche radicalement différente. Et pour y parvenir, les entreprises doivent s'appuyer sur trois actions clé : arrêter de construire, commencer à acheter (notamment via des partenariats externes), cibler davantage le back-office (pas seulement les équipes sales et marketing) et écouter les utilisateurs car derrière le shadow AI se cache une mine d’or d'idées et de données à forte valeur.
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