Le contrôle de l'âge, nouveau terrain d'affrontement entre les réseaux sociaux et les stores

Après les Etats-Unis, Meta s'attaque à l'Europe pour réclamer une législation imposant aux boutiques d'applications de vérifier l'âge des utilisateurs et de recueillir l'accord parental. Apple et Google s'y opposent fermement, refusant d'endosser ce rôle. Ce désaccord illustre un bras de fer stratégique autour de la protection des mineurs en ligne, devenu cheval de bataille du gouvernement français. 

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Le contrôle de l'âge, nouveau terrain d'affrontement entre les réseaux sociaux et les stores

Depuis quelques semaines, dans le cadre d'une campagne publicitaire, Meta s'adresse à l'Union européenne pour lui demander d'adopter "une réglementation exigeant la vérification de l'âge et un accord parental sur l'app store". Pour justifier sa prise de position, la société américaine - propriétaire d'Instagram et de Facebook - cite une enquête datant de 2024 selon laquelle 75% des parents en Europe sont favorables à une loi imposant l'autorisation parentale pour les utilisateurs de moins de 16 ans avant le téléchargement d'une application (étude menée par Morning Consult auprès de 3000 parents dans 8 pays européens).

Avoir un système commun à toutes les applications

Autrement dit, selon les termes du sondage, il ne reviendrait pas aux réseaux sociaux de vérifier l'âge de leurs utilisateurs mais aux boutiques d'applications, App Store ou Play Store. Sur le papier, l'idée est plutôt séduisante puisque cela permettrait d'avoir un système unifié, commun à toutes les applications, ce qui éviterait à chaque service de développer son propre système de vérification de l'âge. Meta soutient également qu'un tel système serait plus respectueux de la vie privée, en limitant la collecte de données personnelles.

Mais, pour l'entreprise américaine, c'est également la meilleure façon de limiter sa responsabilité juridique en cas de mauvais voire d'absence de contrôle de l'âge sur ses réseaux sociaux. En face, Apple et Google s'opposent fermement à cette vision. Ils considèrent que le contrôle de l’âge relève de la responsabilité de chaque éditeur d’application, au moment de la création d’un compte ou de l’utilisation du service. Accepter la proposition de Meta reviendrait à endosser une responsabilité juridique directe en cas d’accès illégal d’un mineur à une application.

Le lobbying de Meta pour responsabiliser les stores ne date pas d'hier et a démarré aux Etats-Unis. Pendant plus d'un an, la société a plaidé en faveur de législations imposant la vérification à Apple et Google. "Grâce à cette solution, lorsqu'un adolescent souhaite télécharger une application, les plateformes d'applications sont tenues d'en informer leurs parents, comme c'est le cas lorsque les parents sont avertis si leur adolescent tente d'effectuer un achat", écrivait en 2023 Antigone Davis, global head of safety chez Meta.

L'Utah adopte la première loi responsabilisant les stores

Cette campagne a porté ses fruits dans l'Utah, devenant début mai 2025 le premier Etat américain à adopter une loi (App Store Accountability Act) obligeant les opérateurs de boutiques d'applications à vérifier l'âge des utilisateurs et à exiger le consentement parental pour que les mineurs puissent télécharger des applications. Meta, Snap et X ont salué cette initiative dans une déclaration commune, appelant le Congrès américain à s’en inspirer. "L’App Store est l’endroit idéal pour cela", affirment-ils, ajoutant que plus d’un quart des États américains ont déjà déposé des textes allant dans ce sens, reconnaissant le rôle crucial des boutiques d’applications.

Google, de son côté, rejette la proposition. Pour Kareem Ghanem, directeur des politiques publiques, la loi est "préoccupante" car elle impose aux stores de partager l’âge des utilisateurs avec potentiellement des millions de développeurs, sans règles claires ni consentement parental. "Cela soulève de vrais risques pour la vie privée et la sécurité", écrit-il, évoquant la possibilité pour des acteurs malveillants de revendre ou détourner ces données.

La firme de Mountain View propose ainsi une approche plus ciblée : ne transmettre les informations d’âge qu’aux développeurs qui en ont réellement besoin (par exemple, pour des contenus sensibles), et laisser les développeurs décider des protections nécessaires pour leurs utilisateurs.

Apple transfère la responsabilité aux développeurs

Apple a une position moins ferme que Google. L'entreprise a publié un livre blanc en février 2025 qui souligne l'importance de minimiser la quantité de données sensibles collectées sur les utilisateurs. Mais surtout, elle annonçait la sortie prochaine d'une API permettant aux développeurs de savoir si un utilisateur est mineur ou majeur, sans leur communiquer directement l’âge ou la date de naissance. Le système repose sur une validation automatique : si l’utilisateur n’a pas l’âge requis, l’application pourra lui refuser l’accès. La responsabilité est ainsi transférée aux éditeurs tiers, qui devront intégrer cette fonctionnalité dans leurs mises à jour.

Au sein de l'Union européenne, les choses sont doucement en train de changer, sous l'impulsion du Digital Services Act (DSA), adopté le 19 octobre 2022. Ce texte européen instaure de nouvelles obligations aux plateformes en ligne en matière de protection des mineurs. Il leur impose, en particulier, de mettre en oeuvre des mesures raisonnables pour estimer l'âge des utilisateurs, afin d'assurer que les mesures de protection des mineurs s'appliquent effectivement.

Bruxelles épingle Meta pour son contrôle de l'âge

Dans ce cadre, la Commission européenne a ouvert une procédure formelle en mai 2024 à l'encontre de Meta, doublée d'une demande d'information. Bruxelles considère également que les outils de vérification de l’âge mis en place par Meta “peuvent ne pas être raisonnables, proportionnés et efficaces”. Il évoque notamment les paramètres de confidentialité par défaut pour les mineurs, “dans le cadre de la conception et du fonctionnement de leurs systèmes de recommandation” de contenus.

La France veut aller encore plus loin. Clara Chappaz, la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, souhaite contraindre "les réseaux sociaux à ne pas accepter la création de comptes sans vérification d'âge". "Mon travail est aujourd’hui de rallier une coalition, avec l’Espagne, la Grèce et maintenant l’Irlande, pour convaincre la Commission européenne", avait-elle précisé. A défaut d'accord européen, elle promet que la France agira en prenant des sanctions, donnant l'exemple du blocage des sites pornographiques par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Une décision attendue aux Etats-Unis

Une future décision de la Cour suprême des Etats-Unis pourrait également rebattre les cartes. L’affaire FSC v. Paxton oppose la Free Speech Coalition à l’État du Texas autour d’une loi qui impose aux sites pornographiques une vérification stricte de l’âge des utilisateurs. L'association requérante estime que cette loi viole le Premier Amendement de la Constitution américaine en restreignant l'accès des adultes à des contenus protégés par la liberté d'expression. La position de la Cour pourrait affecter plus largement la manière dont les États-Unis régulent l’accès des mineurs aux contenus en ligne.

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