Avec son abonnement payant, Meta relance le débat sur la monétisation des données personnelles

Après l'association autrichienne Noyb, c'est le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) qui a déposé une plainte contre Meta pour l'instauration d'un système d'abonnement payant pour Facebook et Instagram. Les accusations sont similaires : le choix laissé par l'entreprise aux utilisateurs de ses services est trompeur car l'option "gratuite" ne l'est pas puisqu'elle collecte des données à des fins publicitaires. Une nouvelle saga est donc en train de s'ouvrir et qui relance le débat sur la monétisation des données personnelles. 

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Avec son abonnement payant, Meta relance le débat sur la monétisation des données personnelles

A peine quelques semaines après son lancement, le système d'abonnement payant de Meta à ses services, Facebook et Instagram, est attaqué en justice. Sans grande surprise, c'est l'association autrichienne Noyb, présidée par le militant Max Schrems à l'origine notamment de l'invalidation du Privacy Shield, qui a ouvert le bal.

"Une redevance de confidentialité"

Le surnommant "Pay or Okay", elle estime que ce nouveau système viole le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et a saisi l'autorité autrichienne à la protection des données espérant qu'elle lance une procédure d'urgence. Pour rappel, Meta propose des abonnements allant de 9,99 euros jusqu'à 12,99 euros par mois permettant aux utilisateurs d'utiliser les deux réseaux sociaux sans publicités. Dans sa plainte, Noyb dénonce la tentative de l'entreprise américaine de contourner la réglementation en vigueur en proposant "une redevance de confidentialité pouvant aller jusqu'à 250 euros par an à toute personne qui ose exercer son droit fondamental à la protection des données".

Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), une fédération de 43 associations de consommateurs, et 19 de ses membres, dont l'UFC-Que Choisir, a également déposé une plainte auprès du réseau des autorités de protection des consommateurs (CPC) arguant que Meta se livre à "des pratiques commerciales déloyales" et viole le RGPD. Quatre arguments sont ainsi avancés. En premier lieu, le BEUC estime que Meta a "une pratique agressive" lorsqu'il bloque partiellement l'utilisation de Facebook et Instagram jusqu'à ce que l'utilisateur fasse un choix entre payer un abonnement et ne plus voir de publicité ou ne pas payer et rester dans le statu quo. Ce qui crée "un sentiment d'urgence" pour le consommateur qui se sent obligé de choisir rapidement entre ces options.

Une option fausement gratuite

De plus, la plainte argue que les utilisateurs sont induits en erreur car le choix proposé n'est en fait pas un choix : l'option "gratuite" ne n'est pas puisque des données sont collectées à des fins publicitaires. Aussi, les internautes choisissant de payer sont également induits en erreur puisqu'ils pensent à tort que leurs données personnelles échappent à toute collecte et utilisation. C'est faux, explique le BEUC, car Meta pourra les utiliser à d'autres fins, autre que la publicité. Enfin, le BEUC estime que la place prise par les réseaux sociaux dans le quotidien des consommateurs les empêche de quitter ces services car "ils [perdraient] tous leurs contacts et interactions construits au fil des années".

Comme Noyb, la plainte du BEUC dénonce des frais d'abonnements trop élevés, jugés "dissuasifs". L'association autrichienne fixe à près de "35 000 euros" le coût de la protection des données personnelles pour une famille de quatre personnes. Elle base son calcul sur le fait qu'une personne aurait 35 applications installées sur son téléphone et si chacune d'entre elles appliquait le même tarif de Meta. Or, "les droits fondamentaux sont en principe accessibles à tous, argue Max Schrems. Combien de personnes exerceraient encore leur droit de vote si elles devaient payer 250 euros pour le faire ?"

Meta jongle entre les bases légales

Pour comprendre le fond de cette affaire, il faut revenir quelque temps en arrière.

Comme toute entreprise opérant au sein de l'Union européenne et donc soumise au RGPD, Meta doit justifier sa collecte de données personnelles. Celles-ci sont en partie utilisées à des fins publicitaires ; la publicité représentant la quasi-totalité des revenus de Meta (32 milliards d'euros de revenus publicitaires au deuxième trimestre 2023, + 11% par rapport au deuxième trimestre de l'année dernière). Depuis l'entrée en vigueur du RGD, en mai 2018, l'entreprise américaine a ainsi jonglé entre plusieurs bases légales : de l'exécution d'un contrat aux intérêts légitimes puis au consentement.

Ce sont deux décisions consécutives qui ont poussé Meta à finalement choisir le consentement. En juillet 2023, la Cour de justice de l'Union européenne a conclu que "la personnalisation de la publicité par laquelle est financé le réseau social en ligne Facebook ne saurait justifier, en tant qu'intérêt légitime poursuivi par Meta Platforms Ireland, le traitement de données en cause, en l’absence du consentement de la personne concernée". Le même mois, la Datatilsynet, l'autorité néerlandaise de protection des données, lui a interdit d'effectuer de la publicité ciblée à partir du 4 août 2023 jusqu'au 3 novembre 2023. Les pratiques n'ayant pas été modifiées entre temps, l'autorité a saisi le Comité européen à la protection des données pour qu'il prenne une décision contraignante. Son appel a été entendu : le Comité a sommé la Data Protection Commission (DPC), la Cnil irlandaise, d'interdire "le traitement des données personnelles à des fins de publicité comportementale sur les bases juridique du contrat et de l'intérêt légitime".

Le modèle payant, une forme valable de consentement ?

Pour se conformer au RGPD et à son interprétation, Meta a donc choisi le consentement comme base légale et de proposer une alternative payante sans collecte de données personnelles à des fins publicitaires. Il faut bien préciser que le modèle payant permet toujours à Meta de collecter des données à d'autres fins que des fins publicitaires (promotion de la sûreté, l'intégrité et la sécurité/ Fourniture d'analyse et de services professionnels/Faure de la recherche).

"La possibilité pour les gens d'acheter un abonnement sans publicité équilibre les exigences des régulateurs européens tout en donnant le choix aux utilisateurs et en permettant à Meta de continuer à servir toutes les personnes dans l'UE, l'EEE et la Suisse", écrit l'entreprise dans un billet de blog. Elle estime que l'instauration d'un modèle d'abonnement constitue "une forme valable de consentement pour un service financé par la publicité". Comme l'a expliqué L'Usine Digitale dans un article, dans le dossier des "cookies wall", la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) semblait avoir ouvert la voie à cette lecture du RGPD. En effet, elle avait estimé que "les contreparties monétaires" pouvaient "constituer une alternative au consentement", à condition qu'elles soient proposées à "un tarif raisonnable".

C'est justement cet argument que défend Noyb : le prix de l'abonnement à Facebook et Instagram est trop cher et pousse donc les personnes à choisir l'option gratuite avec collecte de données à des fins publicitaires. La position de la justice sur cette question sera particulièrement importante. Elle pourrait décider que le système d'abonnement est valable à condition que le prix soit plus bas. Le risque pour Meta est alors de voir la majorité de ses abonnés se tourner vers ce modèle payant puisque très peu cher tout en supprimant une grande partie de ses revenus publicitaires.

Le débat sur la monétisation des données

L'affaire Meta relance également le débat de la monétisation des données personnelles. Cette monétisation peut être directe – la personne vend ses données personnelles (service quasi inexistant en Europe) – ou indirecte – elle échange ses données personnelles contre la fourniture d'un service. A l'heure actuelle, la loi et la jurisprudence ne tranchent pas clairement ce sujet. A plusieurs reprises, la Cour de cassation a parlé de "vol de données", ce qui suggérerait que la victime en avait la propriété. Faut-il en revanche aller jusqu'à permettre aux personnes de pouvoir vendre leurs données et en récupérer les fruits ? La question reste ouverte.

Cette idée est contraire à l'esprit de la protection des données en Europe, comme l'a rappelé à plusieurs reprises la Cnil car "cette proposition serait susceptible de renforcer les déséquilibres économiques au détriment des personnes". Même position de la part du Conseil national du numérique (CNN) qui jugeait que cette idée "renforce l'individualisme et nie le rapport de force entre consommateurs et entreprises". En effet, difficile pour un citoyen lambda d'estimer le gain lié à la collecte et la réutilisation de ses données. C'est pour cette raison, en partie, que l'association Noyb juge que l'utilisation de Facebook et Instagram n'est pas à gratuite puisque les utilisateurs acceptent en échange que leurs données soient vendues à des fins publicitaires dans le cadre d'une sorte de contrat où les deux parties sont en situation de déséquilibre significatif.

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