En plein conflit israélo-palestinien, l'UE engage un bras de fer sur le DSA avec les grandes plateformes sociales

Suite aux attaques terroristes du 7 octobre perpétrées par le Hamas sur Israël et à la riposte de l'Etat hébreu, l'UE tente de rappeler aux grandes plateformes en ligne qu'elles doivent appliquer un nouveau règlement européen, le Digital Services Act (DSA). La semaine passée, Mark Zuckerberg, Elon Musk et Sundar Pichai ont ainsi reçu des avertissements et ont dû répondre de leurs politiques de modération des contenus.

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En plein conflit israélo-palestinien, l'UE engage un bras de fer sur le DSA avec les grandes plateformes sociales

Le cabinet bruxellois de Thierry Breton n'a pas lésiné sur les enveloppes la semaine passée. En réaction aux attaques terroristes du Hamas en Israël, à la riposte tout aussi meurtrière de l'Etat hébreu et aux nombreuses réactions en ligne que ces événements ont suscitées, la Commission européenne a invité par voie de courrier les grandes plateformes sociales telles que X (ex-Twitter), Facebook et YouTube à veiller spécifiquement au respect du Digital Services Act (DSA).

Ce règlement européen, entré en vigueur à la fin du mois d'août, donne en effet à 19 "très grandes plateformes", aussi bien des réseaux sociaux que des places de marché, des devoirs concrets en matière de modération des contenus. Or, en pleine résurgence du conflit israélo-palestinien dans le champ médiatique, un nombre considérable d'internautes ont disséminé des contenus haineux ainsi que de la désinformation sur ces espaces en ligne qui peinent manifestement à les réguler.

Aussi, le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton s'est empressé d'adresser des lettres qualifiées d'"urgentes" à plusieurs patrons de plateformes, dont Elon Musk et Mark Zuckerberg. En l'espace de trois jours, l'Union européenne a ainsi publiquement averti quatre entreprises, trois américaines et une chinoise, et semble déterminée à poursuivre sur cette voie. Retour sur ces tentatives épistolaires qui, malgré les nombreuses moqueries d'internautes qu'elles ont suscitées, ont donné quelques résultats.

X : des échanges tendus suivis d'une enquête formelle

Moins de deux mois après l'entrée en vigueur du Digital Services Act pour les grandes plateformes, les hostilités entre ces dernières et l'Union européenne ont débuté par une lettre adressée le 10 octobre par Thierry Breton à Elon Musk. Le propriétaire de X était invité à fournir des détails sur sa politique de modération qu'il a largement adoucie depuis son rachat du réseau social à l'oiseau bleu. Visant à rétablir une liberté d'expression supposément menacée, la position de l'homme le plus riche du monde a surtout permis le retour de nombreuses personnalités d'extrême-droite autrefois bannies de la plateforme.

Plus tard, le licenciement de nombreux employés chargés de modérer les contenus haineux et la mise en place de l'abonnement payant Blue ont bouleversé les règles de hiérarchisation des contenus et permis une recrudescence de comptes problématiques. En plus d'échauder des annonceurs inquiets de voir leurs campagnes publicitaires côtoyer ces publications, Elon Musk a ainsi entretenu une situation qui lui est aujourd'hui reprochée au regard des événements violents en Israël et en Palestine.

Aussi, après une réponse évasive du milliardaire puis une lettre plus complète de Linda Yaccarino, Thierry Breton a décidé le 12 octobre de lancer une enquête formelle sur X et sa conformité avec le DSA, "notamment au regard de ses politiques et des mesures prises concernant les notifications de contenus illicites, le traitement des réclamations, l'évaluation des risques et les mesures visant à atténuer les risques recensés". La plateforme doit répondre à cette demande au plus tard le 18 octobre "pour ce qui est des questions relatives à l'activation et au fonctionnement du protocole de crise de X et au plus tard le 31 octobre 2023 sur les autres points". Est également évoquée l'ouverture potentielle d'une procédure supplémentaire plus sérieuse.

Meta : désinformation et menace de vidéos en direct de terroristes

Blâmée principalement pour la circulation de médias synthétiques appelés deepfakes sur ses plateformes Facebook et Instagram, Meta a également écopé d'une lettre de Thierry Breton. Le 11 octobre, Mark Zuckerberg s'est en effet vu enjoindre de "garantir le strict respect des règles du DSA" à l'aune d'un événement historique à la résonnance internationale. Le commissaire européen avait laissé au patron de la société californienne un délai de 24 heures pour répondre. Deux jours plus tard, Meta a publié sur une partie de son site officiel dédiée à la presse un communiqué en anglais, en arabe et hébreu.

Evitant soigneusement de mentionner Thierry Breton, l'Union européenne et le Digital Services Act, Meta dit avoir "rapidement mis en place un centre d'opérations spéciales composé d'experts dont des personnes parlant couramment l'hébreu et l'arabe, afin de suivre de près et de répondre en temps réel à cette situation qui évoluait rapidement". La firme derrière Facebook, Instagram et Threads affirme avoir supprimé ou marqué comme "perturbant" plus de 795 000 contenus en hébreu et en arabe dans les trois jours qui ont suivi les attaques du Hamas, soit sept fois plus que d'ordinaire.

Selon ses dires, Meta tente aussi de freiner la recommandation algorithmique de contenus potentiellement illicites, bloque certains hashtags et redouble d'attention concernant la diffusion de vidéos en direct ("nous sommes au courant des menaces du Hamas de diffuser des images des otages"). Au sujet de la désinformation, Meta dit compter sur l'AFP, Reuters et la société de fact-cheking Fatabyyano. "Lorsqu'un contenu est considéré comme faux, nous le déplaçons plus bas dans le fil d'actualité afin qu'il soit vu par moins de personnes."

TikTok : source d'information… et de propagande terroriste

"TikTok a l'obligation particulière de protéger les enfants et les adolescents des contenus violents et de la propagande terroriste […]", a lancé Thierry Breton le 12 octobre. Publiant sur le réseau social X la lettre qu'il a adressée au CEO de l'application chinoise Shou Zi Chew, le commissaire européen au marché intérieur a énuméré plusieurs manquements au DSA. Il assure que TikTok n'a pas répondu à certaines demandes de retrait de contenus, fait état de nombreuses vidéos violentes, notamment de prise d'otages, et met l'accent sur la désinformation.

"Étant donné que de nombreux utilisateurs, en particulier des mineurs, se tournent vers votre plateforme comme source d'information, les sources fiables doivent être correctement différenciées de la propagande terroriste", écrit Thierry Breton, laissant à nouveau 24 heures à son interlocuteur pour lui apporter des garanties. Dimanche 15 octobre, la maison-mère ByteDance a publié un communiqué au sujet de sa politique de modération sans mentionner la demande de l'Union européenne.

"Nous avons immédiatement mobilisé d'importantes ressources et du personnel pour aider à maintenir la sécurité de notre communauté et l'intégrité de notre plateforme", plaide l'entreprise avant de se lancer dans une énumération de mesures concrètes : création d'une task-force en interne sur les événements, évolution technique de systèmes de détection pour supprimer automatiquement les contenus graphiques et violents, embauche de modérateurs humains parlant l'arabe et l'hébreu, blocage de hashtags, suppression de médias synthétiques créés pour désinformer…

YouTube : de vagues reproches et une réponse dans la presse

Bien qu'elle soit la société la plus concernée par le Digital Services Act avec cinq de ses services considérés comme des "très grandes plateformes", l'entreprise américaine Alphabet a été la dernière en date avertie par Thierry Breton concernant le conflit israélo-palestinien. La commission européenne a en effet adressé une lettre concernant YouTube à Sundar Pichai, CEO d'Alphabet et Google, et à Neal Mohan, CEO de YouTube, vendredi 13 octobre. Celle-ci évoque la responsabilité de la plateforme de vidéos vis-à-vis de ses utilisateurs enfants et adolescents.

Du reste, le courrier apparaît davantage comme une compilation de passages déjà adressés aux autres plateformes. Aucun reproche n'est formulé clairement mais YouTube doit être vigilant quant aux vidéos de prises d'otages, aux demandes de retrait de contenus émanant des Etats membres de l'UE et aux sources de désinformation à des fins politiques.

Alphabet n'a pas officiellement réagi à cette lettre mais une porte-parole de YouTube s'est exprimé auprès du site d'information américain The Verge. "Suite aux attaques dévastatrices en Israël et à l'escalade du conflit en cours en Israël et à Gaza, nous avons supprimé des dizaines de milliers de vidéos nuisibles et mis fin à des centaines de chaînes, a déclaré Ivy Choi. Nos équipes travaillent 24 heures sur 24 pour surveiller les séquences préjudiciables et restent vigilantes afin de prendre rapidement des mesures si nécessaire pour tous les types de contenu, y compris les Shorts et les vidéos en direct."

Snapchat absent des radars de l'UE (mais pas du Royaume-Uni)

L'un des rares réseaux sociaux à avoir échappé à ce jour aux mises en garde européennes n'est autre que Snapchat. Particulièrement utilisée par des jeunes voire très jeunes internautes, cette application éditée par la société californienne Snap, Inc. a un fonctionnement sensiblement différent des plateformes réprimandées par l'UE. Sa carte virtuelle du monde, via laquelle les utilisateurs peuvent découvrir des stories selon les endroits depuis lesquels ces contenus ont été publiés, est toujours fonctionnelle en Israël et en Palestine malgré l'escalade de violence. Au niveau de la bande de Gaza, on peut par exemple y voir, au détour de scènes de la vie quotidienne, des Palestiniens réunis dans la rue autour de sacs mortuaires.

Si la Commission européenne n'a jusqu'ici rien trouvé à redire sur la politique de modération des contenus mise en place par Snap, Inc., le Royaume-Uni a toutefois averti l'entreprise. D'après les informations du quotidien britannique The Guardian, Michelle Donelan, secrétaire d'État à la science, à l'innovation et à la technologie, a rencontré des cadres de X, Google, Meta, TikTok et Snapchat pour "discuter de la lutte contre les contenus violents et antisémites sur leurs plateformes". "Je leur ai demandé d'assurer le suivi et de détailler par écrit les plans qu'ils ont mis en place" pour retirer ces publications, a-t-elle affirmé.

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