Vers un Internet filtré au nom de la protection des mineurs
Entrée en vigueur fin 2023, l'Online Safety Act britannique impose depuis le 25 juillet 2025 des obligations strictes de vérification d'âge aux plateformes diffusant des contenus pour adultes ou potentiellement dangereux pour les mineurs. Ce dispositif, pensé pour renforcer la sécurité des enfants en ligne, transforme l'accès à certains services sur Internet. Il soulève aussi des questions techniques et éthiques, alors que d'autres pays, comme les Etats-Unis, l'Union européenne ou encore l'Australie, se sont engagés dans cette même voie.
Le 25 juillet 2025, le Royaume-Uni a franchi une nouvelle étape dans la régulation du numérique avec l'entrée en application d'une nouvelle salve d'obligations pour les services opérant sur son territoire, issues de l'Online Safety Act. Elles imposent aux plateformes en ligne de mettre en place une vérification de l'âge "hautement efficace" afin de protéger les mineurs de contenus jugés nocifs, notamment de la pornographie, des scènes violentes, ou des discours liés à l’automutilation ou aux troubles alimentaires.
Des sites pour adultes aux jeux vidéo
La loi concerne une grande variété de services, tels que les sites pour adultes mais également les réseaux sociaux, les services de jeux vidéo, les forums communautaires, les moteurs de recherche ainsi que les services de partage de vidéos. A noter qu'une plateforme est considérée comme accessible aux enfants si elle attire une part importante de mineurs et n'applique pas de restriction technique efficace.
Concrètement, les plateformes concernées doivent empêcher les utilisateurs mineurs d'accéder à certains contenus sans recourir à des méthodes faciles à contourner. Autrement dit, les simples cases à cocher ou les déclarations d'âge ne suffisent plus. L’autorité de régulation britannique, l'Office of Communications (Ofcom), exige désormais des solutions techniques robustes, telles que la reconnaissance faciale à des fins d’estimation d’âge, la vérification par pièce d’identité officielle, ou encore l’authentification via des tiers de confiance (banques, opérateurs télécoms, portefeuilles d’identité numérique).
Meta et Microsoft utilisent la technologie de Yoti
Certaines entreprises ont d'ores et déjà déployé de telles solutions. Meta, par exemple, utilise la technologie de la start-up britannique Yoti sur Facebook et Instagram. Elle permet d'estimer l'âge d'un utilisateur à partir d'un selfie, sans stocker les données biométriques. Cette technique reste sujette à contournement : des enfants auraient réussi à contourner le système en utilisant des photographies générées par l'intelligence artificielle.
Le secteur des jeux vidéo a également été affecté. Steam aurait supprimé plusieurs centaines de titres contenant des scènes sexuelles explicites. Itch.io, connu pour héberger de nombreux jeux indépendants, a supprimé sa catégorie "Adult Games". Si ces décisions n'ont pas été directement imposées par les autorités britanniques, elles font suite à des pressions indirectes, notamment de la part des prestataires de paiement, tels que Visa et Mastercard. Ceux-ci font office de censeurs officieux depuis les débuts du web, simplement grâce à leur capacité d'exclure un service de leur réseau de paiement.
De son côté, Microsoft commence à appliquer l’Online Safety Act sur Xbox au Royaume-Uni en demandant aux joueurs adultes de vérifier leur âge. La procédure, aujourd’hui facultative, deviendra obligatoire début 2026 pour conserver l’accès complet aux fonctionnalités sociales de la console, comme le chat vocal, les messages et les invitations. L'entreprise américaine a également choisi le prestataire Yoti pour vérifier l'âge des utilisateurs de ses services.
Le mode SafeSearch activé par défaut
Les moteurs de recherche s’adaptent aussi à ce nouveau contexte. Google et Bing activent désormais SafeSearch par défaut pour les utilisateurs britanniques non identifiés comme majeurs. Certains utilisateurs rapportent qu’il n’est plus possible de désactiver cette fonction sans fournir une preuve d’âge, comme une carte d’identité ou une authentification via un compte administré par un parent.
D’autres plateformes, comme OnlyFans, exigent désormais le téléchargement d’un justificatif d’identité et d’un selfie vidéo pour accéder à du contenu classé 18+.
Jusqu'à 20 millions d'euros d'amende
L’Ofcom a le pouvoir d’imposer des sanctions financières allant jusqu’à 18 millions de livres sterling (20,7 millions d'euros environ) ou 10% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise en cas de manquement. Elle peut aussi, en dernier recours, demander le blocage du service par les fournisseurs d’accès internet au Royaume-Uni. Les dirigeants d’entreprise peuvent également faire face à des poursuites pénales en cas de refus délibéré d’appliquer les exigences de la loi.
Face à ces changements, de nombreux utilisateurs britanniques se tournent vers des VPN pour échapper aux restrictions de contenu ou à la vérification d’identité. Dans ce cadre, le gouvernement britannique aurait évoqué l’idée d’interdire certains VPN non agréés. Interrogé par le média The Verge, David Peterson, directeur général de Proton VPN, a déclaré avoir constaté une hausse de plus de 1800% des inscriptions quotidiennes d'utilisateurs basés au Royaume-Uni depuis l'entrée en vigueur des nouvelles obligations.
Des législations similaires en cours d'adoption
Au-delà du Royaume-Uni, plusieurs pays se dirigent vers des réglementations similaires. Aux États-Unis, le Kids Online Safety Act (KOSA) est en cours d’examen au Congrès. Il prévoit également des obligations de vérification d’âge, ainsi que des possibilités de poursuites contre les plateformes qui exposeraient des mineurs à des contenus nuisibles. L’Australie va plus loin encore, en envisageant la création d’un système national de vérification d’identité numérique – le "Trusted Digital Identity Framework" – pour accéder à certains services en ligne.
En Europe, dans le cadre du Digital Services Act (DSA), la Commission européenne teste un prototype de vérification de l'âge respectueux de la vie privée. La France, le Danemark, la Grèce, l'Italie et l'Espagne seront les premiers Etats membres à l'essayer.
En France, un bras de force entre gouvernement et plateformes
Du côté de la France, l'application de la loi "Sécurisation et régulation de l'espace numérique" (SREN) a provoqué un bras de fer entre le gouvernement et les plateformes de contenu pour adultes. Ce texte leur impose de mettre en place des dispositifs de vérification d'âge conformes à un référentiel technique élaboré par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), validé par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
Plutôt que de se soumettre à cette nouvelle obligation, les sites pornographiques détenus par le groupe canadien Aylo ont préféré suspendre leurs accès en France, avant de les réactiver à la suite d'une décision de justice. Finalement, le Conseil d'Etat a confirmé l'application du contrôle de l'âge. Les plateformes ont de nouveau suspendu leurs services dans l'Hexagone.
Des critiques sur la protection des données et la neutralité du net
L'instauration d'une obligation de contrôle de l'âge provoque des réactions profondément contrastées. Du côté des organisations de protection de l'enfance, comme la National Society for the Prevention of Cruelty to Children au Royaume-Uni, la loi britannique est saluée comme une avancée majeure.
En revanche, de nombreuses associations de défense des droits numériques, à l’instar de Privacy International, de l’Electronic Frontier Foundation ou de l’Open Rights Group, critiquent une régulation jugée invasive et potentiellement contre-productive. Elles dénoncent le manque de garanties autour de la protection des données personnelles, la centralisation des identités numériques, et le risque d’un internet à deux vitesses, où seuls les utilisateurs identifiés accèdent librement à l’information.
Si la protection des mineurs fait consensus, la méthode choisie par le Royaume-Uni interroge sur les conséquences à long terme pour la liberté d’accès, la neutralité du net et la gestion des identités numériques.
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