[Etude] Le potentiel du marché de l'e-santé en France s'élèverait à 22 milliards d'euros

L'Institut Montaigne a chiffré le potentiel de l'e-santé en France qui s'élèverait entre 16 et 22 milliards d'euros par an. Pour espérer atteindre cet ordre de grandeur, le groupe de travail à l'origine du rapport prescrit deux transformations majeures : une exploitation simplifiée des données de santé et la structuration de la filière du numérique en santé.

 

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[Etude] Le potentiel du marché de l'e-santé en France s'élèverait à 22 milliards d'euros

L'Institut Montaigne vient de publier le 18 juin 2020 son rapport* sur le potentiel de l'e-santé en France baptisé "E-santé : augmentons la dose !". Ce think tank consacré aux politiques publiques estime que le développement de ce secteur est susceptible d'apporter, a minima, entre 16 et 22 milliards d'euros par an.

Cinq axes de transformation
"Pour chiffrer les gains de l'e-santé, nous avons fait une revue de littérature en termes d'impacts de technologies sans faire de plan sur la comète. Nous nous sommes penchés sur ce qui existait déjà et pas sur ce qui allait exister", raconte Thomas London, directeur associé santé et secteur public du cabinet de conseil McKinsey et co-président du groupe de travail, interrogé par L'Usine Digitale.

Il poursuit en détaillant les "cinq axes de transformation" nécessaires pour atteindre ce potentiel: l'autonomisation des patients, la dématérialisation des échanges, la télémédecine, l'automatisation des processus logistiques et l'appui à la décision médicale et paramédicale. "Les gains ne sont pas nécessairement une réduction des coûts. C'est une meilleure prise en charge des patients, une meilleure qualité du système de santé…", précise-t-il.

Ce "New Deal" de la santé repose sur deux piliers : l'exploitation des données de santé et la structuration de la filière. "Le système de santé français est riche en données mais pauvre en information", note le groupe de travail. Le rapport regrette l'absence de connexion entre les différents organismes qui gèrent des données au niveau national. Par exemple, l'Assurance maladie possède des données liées à la facturation mais ne sait rien de la qualité d'une prise en charge médicale. "Si le système de santé était un corps humain, les données seraient son sang", compare Thomas London. En effet, les données sont indispensables pour développer des technologies comme des algorithmes d'aide à la décision ou de détection de certaines maladies.


Une troisième voie entre partage et protection
Or, l'exploitation des données de santé est strictement encadrée par le droit européen via le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Aujourd'hui, tout l'enjeu est de trouver un point d'équilibre entre partage et protection de la vie privée des patients. Thomas London regrette que la réponse manque trop souvent de nuance. "Il y a une voie médiane exigeante avec des garde-fous de protection tout en sortant du contrôle et du blocage a priori."

Il plaide pour une procédure de contrôle calqué sur celle qui s'applique aux médicaments : l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) compare les bénéfices et les risques de la nouvelle molécule. "Dans certains cas, l'absence de partage de données est une perte de chance de guérir pour les patients", déplore Thomas London.

Le Health Data Hub, une "brique essentielle"
Le Health Data Hub a justement pour ambition de regrouper un maximum de données au sein d'une même base nationale. Créée par la loi du 24 juillet 2019, cette plateforme d'exploitation soulève de nombreuses inquiétudes car son hébergement a été confié à l'entreprise américaine Microsoft. Une quinzaine d'organisations et de personnalités ont récemment déposé un référé-liberté devant le Conseil d'Etat estimant que ce choix était dangereux.

De son côté, le groupe de travail se positionne plutôt en faveur de cet outil. "Il fallait trouver un équilibre entre le fait de garder la pleine souveraineté sur cet actif stratégique et la nécessité d'être rapide et agile", note l'expert qui refuse de trancher le débat sur le fond. Le Health Data Hub reste "une brique essentielle" dans la transformation du système de santé, admet-il. Cette future base de données pourra s'interconnecter avec ses équivalents européens.

Une très bonne nouvelle pour Thomas London qui précise que cette stratégie de partage suprationale ne doit pas empêcher la France de se doter d'une "vision ambitieuse" encore cruellement absente. "La feuille de route du numérique en santé a considérablement accéléré les choses mais ce n'est pas suffisant. Nous n'avons pas de vision claire de là où nous voulons que le système soit à cinq ou dix ans : quelles données, quel cadre…", regrette-t-il. Raison pour laquelle il est temps de créer une vraie filière du numérique en santé.


La nécessité de structurer la filière
La deuxième pierre angulaire de la transformation de la santé en France est la structuration de la filière industrielle. Le groupe de travail a longuement échangé avec des acteurs de la filière aéronautique pour trouver des pistes d'amélioration pour s'inspirer. "Dans l'aéronautique, les différents acteurs se connaissent très bien, ils collaborent sur la mise en place de projets à grande échelle et surtout ils sont alignés sur une ambition commune : la présence de la France sur les marchés à l'exportation."

D'après le rapport, il est urgent de sortir de la culture de la méfiance vis-à-vis du privé. "Je vais vous donner un exemple révélateur : l'usage commercial de la donnée est très souvent considéré comme contraire à l'intérêt général. Or s'il y a une demande commerciale, c'est bien qu'il y a un intérêt pour la société", indique Thomas London. Une fois cette méfiance dépassée, il faudrait définir une ambition commune qui pourrait être "une présence à l'export, une amélioration des prises en charge...". Enfin, les acteurs publics et privés devront définir de grands projets ambitieux où "hôpitaux publics, médecine de ville, industriels, start-up…" collaboreront.

L'exemple de la télémédecine
Comme tout changement, les professionnels devront être acculturés pour comprendre le potentiel qu'offre l'e-santé via les nouveaux technologiques tels que l'IA, la téléconsultation, l'e-prescription... "Quand on grandit dans un modèle où les outils technologiques n'existent pas, il y a un travail de découverte à faire", déclare Thomas London. Ce travail doit s'appuyer sur des dispositifs classiques tels que la formation initiale, une revalorisation des salaires, diversifier les parcours de carrières… "C'est également l'occasion de créer des passerelles entre le public et le privé, estime-t-il et poursuit, le secteur public doit trouver des profils capables de se frotter aux approches innovantes du privé."

Et parfois ce sont des événements exceptionnels qui provoquent le changement tant attendu. C'est le cas de la télémédecine. Largement boudée par les médecins, elle connaît un regain d'intérêt depuis la crise sanitaire où les déplacements en cabinets médicaux étaient proscrits sauf urgence. En avril 2020, l'Assurance maladie comptabilisait 1,1 millions d'actes. L'accélération a été en partie permise par un assouplissement du cadre réglementaire par l'adoption de deux décrets (prise en charge à 100% des actes, dérogation à l’obligation que la consultation soit réalisée par un médecin déjà consulté dans les 12 derniers mois, consultations par téléphone). L'Institut Montaigne plaide d'ailleurs pour que ces assouplissements soient pérennisés.

Une enveloppe de trois milliards de plus par an
Thomas London conclut sur la nécessité de se donner les moyens de ses ambitions. "Dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille numérique, il y a eu des enveloppes de quelques centaines de millions d'euros dédiés à l'accélération. Mais ce n'est pas à l'échelle de ce qui est nécessaire", estime-t-il.

La France dépense "moins de 2% de la dépense de santé dans le numérique" contre 4% dans certains pays. Comment mettre plus de moyens derrière ces outils de transformation ? "Au vue du potentiel de création de valeur, nous serions dans des retours sur investissement extrêmement forts et rapides", répond Thomas London, qui plaide pour une enveloppe de trois milliards de plus par an.


*Méthodologie : les travaux ont été lancés en septembre 2019. Le comité de pilotage était composé d'une vingtaine d'experts. Plus d'une centaine de personnes spécialisées dans le secteur de la santé ont été auditionnées pendant les travaux du groupe de travail.

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