La portabilité des données, un enjeu de concurrence pour Doctolib
Pour Doctolib, il est grand temps que les éditeurs de logiciels médicaux arrêtent de garder les données de leurs utilisateurs - professionnels de santé - les empêchant de recourir aux services des nouveaux entrants. La pépite tricolore appelle ainsi les pouvoirs publics à agir en adoptant un véritable cadre sur la portabilité des données ; le RGPD ne suffisant pas à répondre à ces enjeux.
La majorité des professionnels de santé ont peur de changer de logiciel médical, essentiellement à cause d'une potentielle perte de données de leurs patients. C'est ce qui ressort d'une étude menée par Doctolib en janvier 2024 sur la portabilité des données. La portabilité des données désigne le fait de pouvoir récupérer ses données auprès d'un service et de pouvoir les réutiliser pour un autre service. Dans le domaine du logiciel médical, c'est loin d'être un droit appliqué.
C'est ce que la licorne, à l'origine du logiciel Doctolib Médecin utilisé par 16 000 professionnels, dénonce dans une lettre adressée aux pouvoirs publics. "Concrètement, nous sommes contraints dans nos choix par les politiques d'éditeurs de logiciels médicaux qui nous opposent : un engagement contractuel de plusieurs années (...), un surcoût lié au transfert de données, de longs délais de restitution de données, la perte ou de la dégradation de ces données", peut-on lire dans cette lettre que nous avons pu consulter.
Une meilleure innovation dans le secteur du logiciel médical
Ce n'est pas une question de perte de chance de capter des nouveaux clients mais de "saine concurrence", explique un porte-parole de Doctolib à L'Usine Digitale. "Régler le sujet de la portabilité, c'est ouvrir la porte à une meilleure concurrence donc une meilleure innovation dans le secteur du logiciel médical, qui est très en retard", explique-t-il.
"Nous nous sommes rendu compte de la complexité d'entrer dans ce marché, oligopole, car les praticiens ne veulent pas changer de solution de peur de perdre leurs données et, nous, nous ne sommes pas en capacité d'opérer un service de qualité au début car nous n'avons accès aux données qui permettent aux professionnels de bien soigner", détaille le porte-parole. Les données auxquelles il fait référence sont nombreuses : rendez-vous, dossiers médicaux notes de consultation...) et des documents (messages sécurisés entre professionnels, ordonnances, bilans biologiques, courriers adressés, factures, formulaires...). "Ils sont responsables de ces données d'où la peur de changer de service et de les perdre car ils engagent leur responsabilité", indique-t-il.
Le RGPD n'est pas adapté
La logique des éditeurs historiques est bien connue : en rendant captifs ses utilisateurs, il réduit considérablement le risque de les voir changer de service. C'est pour lutter contre ce type de pratique que le législateur a adopté des réglementations, tel que le Data Act - intégré dans la loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (SREN) - qui exige la suppression des frais de migration pour les fournisseurs de cloud. Or, il n'existe pas encore d'équivalent pour le logiciel médical.
Pourtant, l'article 20 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) a consacré le droit à la portabilité. Pour rappel, ce texte prévoit que "les personnes concernées ont le droit de recevoir les données à caractère personnel les concernant lorsqu'elles ont fournies à un responsable du traitement, dans un format structuré, couramment utilisé et lisible par machine (...)". Or, explique le représentant, "le RGPD régit les relations BtoC et non pas les relations BtoB. Nous avions un concurrent - hyper aligné avec nous sur ce sujet - qui préconisait à ses clients de faire valoir cet article lorsque leur ancien fournisseur refusait de transmettre leurs données. Mais c'est plus pour faire peur."
Le Ségur, une porte ouverte vers la portabilité des données ?
Les choses sont doucement en train de changer dans le cadre du programme Ségur du numérique dont l'ambition est de généraliser le partage fluide et sécurisé des données de santé entre professionnels et avec le patient dans le contexte du déploiement de "Mon espace santé". "Les logiciels ont été obligés de standardiser un petit peu de leurs données, comme l'identité du patient, explique le porte-parole. Or, il n'y a pas du tout l'intégralité ni même la majorité des données d'un patient dont un professionnel a besoin pour le soigner." Par ailleurs, "sur le terrain, on voit que cette obligation de standardisation n'est pas du tout respectée".
Plus généralement, ce que le porte-parole regrette c'est le manque de prise en compte du numérique en santé au ministériel. "Il faut une vision politique du numérique, déclare-t-il. Elle est portée au niveau de l'administration qui est souvent bloquée par certaines considérations. La portabilité des données en est un exemple."
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