Le virage de Kickstarter vers la blockchain en 2021 était lié à un accord secret de 100 millions de dollars

En mal de croissance, la plateforme de financement participatif Kickstarter s’était tournée, fin 2021, vers la blockchain. Une décision surprenante, eu égard à la mission originelle de l'entreprise. Suite à la réaction de nombreux utilisateurs, la société avait fait machine arrière. On apprend aujourd'hui que derrière ce changement de cap se cachait un accord secret de 100 millions de dollars avec le fonds de capital risque Andreessen Horowitz.

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Le virage de Kickstarter vers la blockchain en 2021 était lié à un accord secret de 100 millions de dollars
Les trois cofondateurs de Kickstarter : Charles Adler, Perry Chen, et Yancey Strickler.

8 décembre 2021. Dans leur boîte e-mail, les employés de la plateforme américaine de financement participatif Kickstarter apprennent qu’ils peuvent vendre jusqu’à 32,5% de leurs actions à 7,41 dollars à un mystérieux groupe d'investisseurs.

La surprise est totale : après avoir brillé au début des années 2010 en popularisant le principe du crowdfunding (et devenant l'une des plateformes les plus convoitées au monde), Kickstarter stagne. Début 2021, sa croissance est en berne. Elle ne récupère plus qu’une petite marge sur des projets de crowdfunding ayant atteint un certain seuil, et sa réputation a été mise à mal après le passage d’une direction hostile à la création d’un syndicat. Les salariés de Kickstarter et ses premiers investisseurs voient donc ce rachat d’actions comme une aubaine inespérée.

Un accord secret avec Andreessen Horowitz

Dans le même temps, Kickstarter fait une annonce étonnante : elle va se tourner vers la blockchain. Une annonce qui provoque une levée de boucliers de sa communauté d’utilisateurs, ruine sa réputation déjà entâchée, et conduit à un exode de certains projets majeurs vers la concurrence.

Le média américain Fortune révèle le 11 mars que ces deux évènements étaient en fait liés. Les investisseurs derrière ce rachat d'actions n'étaient autres qu'Andreessen Horowitz (a16z), spécialiste de l'investissement en capital-risque, et plus précisément son fonds a16z crypto. Chris Dixon, qui dirige cet effort, aurait mis 100 millions de dollars sur la table sous forme de rachat d'actions, sous condition que Kickstarter pivote vers la blockchain. La start-up, dont les finances étaient en berne, n'a pas su résister à cette offre qui la survalorisait à 400 millions de dollars. “C’est une opportunité unique dans une vie”, témoigne un salarié.

Chris Dixon, le sauveur providentiel...

Créé à New York en 2009, Kickstarter connaît vite le succès. Elle dégage un bénéfice dès la deuxième année, et permet de lancer des projets majeurs, comme la montre connectée Pebble, le le casque de réalité virtuelle Oculus Rift, ou la série "Fleabag". La start-up affirme qu’elle ne cherche pas à s’enrichir. Elle boucle cependant un tour de table de 10 millions de dollars en 2011, avec comme investisseurs les fondateurs de Meetup, de Vimeo… Mais aussi de Chris Dixon, futur responsable du fonds crypto d'Andreessen Horowitz (créé en 2018).

L'homme a beaucoup fait pour promouvoir les usages de la blockchain. Le mouvement autour des NFT lui est par exemple dû en grande partie. On peine aujourd'hui à se rappeler de cet engouement porté notamment par des levées de fonds de plusieurs centaines de millions de dollars et autres transactions du même genre. Des sommes derrière lesquelles on retrouve souvent le fameux Chris Dixon.

Dans le cas de Kickstarter, au moment du rachat d’actions, le bitcoin atteingnait des sommets : 69 000 dollars en novembre 2021. Fortune révèle que cet accord a pris une forme assez particulière : il prévoyait que Kickstarter “déplacerait l'ensemble de sa plateforme sur une blockchain appelée Celo, une autre société du portefeuille a16z, où elle fonctionnerait comme un protocole open source, semblable au http ou au bitcoin, plutôt que de s'appuyer sur du code propriétaire comme la plupart des entreprises technologiques”. Le média américain ajoute : “Les utilisateurs, quant à eux, pourraient créer leurs propres mini-plateformes autour d'intérêts de niche comme l'anime, attirant plus de personnes et partageant les bénéfices avec Kickstarter.”

...Qui a conduit Kickstarter à sa perte

Rapidement après l’accord, les utilisateurs de la première heure de Kickstarter expriment leurs inquiétudes. D’une part, car en se tournant vers ce mode de fonctionnement, la plateforme s’écarte de sa mission initiale. D’autre part, car les scandales liés au monde de la crypto se multiplient. “Tout ce que nous avons vu (…) dans l’espace crypto, c’est une fraude, un vol et une ruine financière généralisés”, écrit Isaac Childres, fondateur du jeu vidéo Gloomhaven, annonçant qu’il se tournerait désormais vers d’autres plateformes de crowdfunding.

Il faut dire que les fraudes et projets non aboutis sont légions dans le milieu du financement participatif, ce qui avait déjà contribué à écorner la réputation de toutes ses plateformes au fil des ans. Ce revirement vers la blockchain ne fait qu'empirer les choses. Devant la fronde des utilisateurs, Kickstarter cesse de parler de la blockchain et renouvelle sa direction. Son nouveau CEO, Everette Taylor, change de cap : en octobre 2022, il déclare à Techcrunch : “Nous ne nous engageons pas à déplacer Kickstarter vers la blockchain, ou à y faire quoi que ce soit de spécifique.” Cela ne suffit pas à inverser la tendance : le chiffre d’affaires de l’entreprise continue de diminuer.

Déboires judiciaires en cascade

Les problèmes inhérents au financement participatif se multiplient par ailleurs, Kickstarter devant faire face à toujours plus de plaintes d'utilisateurs (plus de 100 au cours en trois ans) pour escroquerie ou parce qu'ils n'ont jamais vu la couleur des produits qu’ils ont soutenu. L’année dernière, le procureur général de l’Ohio a eu affaire au cas d’un utilisateur de Kickstarter qui collectait soi-disant des fonds pour des organisations caritatives de protection des tortues… pour les dépenser ensuite en cryptomonnaie. Au total, 18% des revenus de Kickstarter proviendraient de projets frauduleux, d'après un document interne de l'entreprise auquel Fortune a eu accès.

L'avenir de la plateforme semble désormais bien sombre, même si elle fait bonne figure dans sa communication officielle. Un communiqué suite à ces révélations indique : “Depuis notre lancement en 2009, 8 milliards de dollars ont été promis à des projets créatifs sur Kickstarter. Alors que nous regardons vers l'avenir, nous continuerons à centrer notre communauté dans tout ce que nous faisons.” La société fait toutefois face à l’exode de ses utilisateurs vers d’autres plateformes de crowdfunding, comme BackerKit.

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