“L’IA générative va entraîner des considérations juridiques nouvelles sur le droit d’auteur”
Depuis le lancement retentissant de ChatGPT, la question de la protection des droits d'auteur est au coeur de plusieurs plaintes. Pour Arthur Millerand, associé du cabinet Parallel Avocats, l'intelligence artificielle générative va engendrer d'importantes discussions juridiques.
L'Usine Digitale. Avec le succès de l’intelligence artificielle générative, plusieurs plaintes ont été déposées aux États-Unis. Elles posent une question centrale : ces outils respectent-ils le droit d’auteur ?
Arthur Millerand. Il n’y a pas de réponse toute faite, car cela dépend du degré de sophistication de leur intelligence artificielle. Se contente-t-elle d’extraire des données sources et de les réutiliser telles quelles ? Ou au contraire crée-t-elle quelque chose de nouveau sur la base de ce qu’elle a appris ? Les outils les plus sophistiqués sont dans ce deuxième cas de figure.
Si une IA écrit une phrase dans le style d’Eminem, pour reprendre la récente chanson de David Guetta, elle ne reproduit pas une de ses créations et ne viole pas ses droits. Même chose si une IA génère une image en se basant sur tout ce qu’elle a vu, et pas seulement en modifiant une image source. À ce titre, il sera intéressant d’observer l’issue de la plainte déposée par Getty Images contre Stability AI début 2023 (la librairie d’images qui a attaqué la start-up, lui reprochant d’avoir utilisé son catalogue pour entraîner son modèle, ndlr).
Il est aussi capital de souligner que toutes les données sources ne sont pas protégées par des droits d’auteur ou des droits privatifs, de sorte qu’elles peuvent être utilisées.
Compte tenu de la multitude de sources et de l’opacité sur le fonctionnement des modèles, sera-t-il possible de prouver qu’une intelligence artificielle a violé les droits d’auteur d’un plaignant ?
D’un côté, il y a la théorie : toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle peut être attaquée et critiquée en justice. Mais, de l’autre, il y a la pratique: il est parfois difficile de mettre en œuvre ses droits.
La question clé, qui sera au cœur des discussions judiciaires et juridiques, sera la preuve des allégations de la partie plaignante : comment peut-on démontrer que l’IA a violé les droits d’un tiers ? Une étape indispensable consistera à auditer le code informatique et la manière dont fonctionne le service pour analyser, avec précision, comment sont traitées les requêtes. On pourrait aussi imaginer faire une analyse rétrospective des logs et requêtes déjà réalisées pour apprécier "comment" les contenus ont été générés, afin de voir si des droits privatifs ont été, ou non, utilisés directement. Enfin, il y a une question de territorialité et de droit applicable évidente : ces services sont mondiaux et le parcours judiciaire peut s’avérer complexe à mettre en mouvement avec efficacité.
Mon sentiment est qu’il y aura des affaires emblématiques avec de grosses entreprises qui s’opposeront dans des procédures judiciaires. En revanche, il y aura beaucoup de petits acteurs qui ne seront peut-être pas en capacité de faire valoir leurs droits.
La question des droits d’auteur se pose aussi pour les utilisateurs de ces outils. Sont-ils propriétaires de leurs créations ?
La réponse peut dépendre du contenu qui est généré mais également de l’interprétation juridique qu’on fait des règles. La bande dessinée Zarya of the Dawn est un très bon exemple car il s’agit d’une œuvre réunissant du texte (rédigé par l’auteure, Kristina Kashtanova) et des images (générées par l’IA de Midjourney). Ces éléments ont été sélectionnés et organisés entre eux par l’auteure. L’office américain du copyright a considéré, dans sa décision du 21 février 2023, que le texte était protégé mais pas les images générées par l’IA (l’œuvre dans son ensemble a également été protégée, même si elle est composée d’éléments originaux et non originaux).
Il ne fait aucun doute que nous sommes à l’aube de considérations juridiques nouvelles. Si l’utilisateur d’une IA ne semble pas acquérir de droits sur les contenus générés grâce à ce service, il est possible que son intervention, intellectuelle, créatrice et humaine, donne lieu à de nouveaux droits : par exemple, en retravaillant les images, en modifiant le texte ou en intégrant les éléments dans une œuvre complexe dont il est l’auteur.
Une autre question mérite d’être posée mais, là encore, il n’y a pas de réponse juridique certaine. Un utilisateur ne peut-il pas faire œuvre créatrice dans la manière même dont il utilise la technologie ? On pourrait imaginer que la série d'instructions et la manière dont il est arrivé au résultat (le contenu généré) pourrait être le reflet de sa personnalité et ainsi lui conférer la qualité d’auteur.
Qu’en est-il des éditeurs des intelligences artificielles ? Peuvent-ils revendiquer des droits d’auteurs sur les contenus générés par leurs outils ?
Il y a un peu plus d’éléments juridiques sur ce point. En effet, le droit d’auteur protège les œuvres de l’auteur, ce qui implique de prouver une originalité. A contrario, la protection du droit d’auteur ne peut s’appliquer à une performance technique matérielle, à une méthode ou un système. La France, comme dans beaucoup de pays en Europe, refuse de reconnaître la qualité d’auteur d’une œuvre à une autre personne qu’un être humain. Par conséquent, aujourd’hui, on peut considérer que les contenus générés par l’IA ne sont pas couverts par le droit d’auteur.
En revanche, cela ne veut pas dire que les éditeurs d’IA n’ont aucun droit sur les contenus. En effet, ces sociétés utilisent des contrats, comme les conditions générales d’utilisation, pour fixer des règles de propriété, de licence ou des limites d’utilisation des contenus. Par exemple l’interdiction d’en faire une utilisation commerciale. Ainsi, on peut imaginer que des situations litigieuses où des éditeurs voudraient faire valoir leurs droits face à des utilisateurs qui auraient fait fortune grâce à des contenus générés par leur IA.
Quand on parle d’intelligence artificielle et de création, plus la technologie est évoluée, plus la question juridique va être importante. En effet, ce n’est pas pareil de se poser la question d’une création simple réalisée par une machine (elles étaient passives) ou de s’interroger sur des développements plus nombreux et impressionnants (elles deviennent actives).
Il y a un enjeu juridique et économique sous-jacent à traiter : comment sécuriser le développement des robots et intelligences artificielles en protégeant les éléments générés par ces machines ? C’est un enjeu de régulation capital et on pourrait regarder vers le droit du producteur de base de données ou les droits voisins pour imaginer un régime juridique.