Toronto doit-elle avoir peur du projet de smart city mené par Sidewalk Labs ?
Sidewalk Labs, une filiale d'Alphabet, veut faire du quartier de Quayside à Toronto le début d'une smart city. Un projet contesté par une partie de la population, qui craint notamment que de nombreuses données personnelles ne soient collectées, sans aucun garde-fou. Les villes ont-elles les moyens de se protéger de l'implémentation non souhaitée de nouvelles technologies par des entreprises privées ?
Sidewalk Labs, une filiale d'Alphabet, a remporté l'appel d'offres concernant le quartier Quayside situé à Toronto en octobre 2017. Son objectif ? Transformer cet ancien site portuaire de 4,8 hectares en un début de "smart city". Mais, rapidement ce projet mené par Waterfront Toronto, une entité regroupant les gouvernements du Canada et de l'Ontario ainsi que la ville Toronto, a suscité la controverse. La Fabrique de la Cité revient, ce jeudi 30 janvier 2020, sur ce sujet qui mêle entités publiques et privées sous fonds de développement de nouvelles technologies.
L'Enjeu des données collectées
"La technologie devient un enjeu politique", affirme Sébastien Soriano, le président de l'Arcep. Il a insisté sur l'importance de "donner les orientations et créer les incitations" pour que les technologies, qui sont fondamentalement neutres, soient utilisées pour le bien commun. En toile de fonds, la crainte de dérives si des sociétés s'emparent des villes par la porte de la smart city.
Un sentiment confirmé par Chantal Bernier, National Practice Leader, Privacy and Cybersecurity chez Dentons Canada, pour qui l'un des dangers est "l'appropriation des données personnelles par le secteur privé, qui n'a pas les mêmes objectifs que la ville". Et de poursuivre : "les habitants sont préoccupés par l'utilisation des données personnelles". En cause : le fait que Sidewalk Labs soit une filiale d'Alphabet (maison-mère de Google) qui accumule des données dans le but de les monétiser.
Une question d'autant plus importante que Sidewalk Labs compte collecter de nombreuses données ayant traits à l'environnement mais aussi au comportement des individus, allant même jusqu'à vouloir collecter "des données sur la durée d'utilisation des appareils électroménagers", a assuré en introduction Marie Baléo, responsable des études et des publications La Fabrique de la Cité.
Un Contrôle suffisant des villes et des régulateurs ?
Se voulant rassurante, Chantal Bernier assure qu'une institution de contrôle canadienne, l'équivalent de la CNIL en France, va surveiller ce que fait Sidewalk Labs. De plus, la ville elle-même resterait en théorie aux manettes. "Aujourd'hui les meilleurs régulateurs sont les villes", confirme Sébastien Soriano. Mais ont-elles vraiment la capacité de contrôler ce que font les géants technologiques ?
Chantal Bernier affirme que Waterfront Toronto dicte ses règles à Sidewalks Labs, qui voulait agrandir ce projet smart city sur près de 140 hectares, ce qui lui a été refusé. Pendant longtemps, la filiale d'Alphabet ne voulait pas non plus dire où elle stockerait les données collectées. Au Canada, qui a une vision similaire à celle de l'Europe, ou aux Etats-Unis, plus laxistes ? Waterfront Toronto a eu raison de cette hésitation : les données seront stockées au Canada. Enfin, l'entité publique a aussi rappelé à l'entreprise américaine qu'elle n'était pas en charge du projet, et que c'est bien elle (Waterfront Toronto) qui va engager les contracteurs et opérateurs pour bâtir le quartier.
De plus en plus de sociétés privées s'intéressent à la smart city
De manière globale, les entreprises privées lorgnent de plus en plus sur les villes et le développement de "smart cities". Toronto et son quartier de Quayside n'est que l'étendard de cette tendance. Toyota a par exemple récemment affirmé vouloir bâtir une smart city au pied du Mont Fuji.
Pour Sébastien Soriano, tous les gardes fous nécessaires ne sont pas encore mis en place puisque "non, il n'y a pas de protection contre un scénario dystopique comme celui décrit dans le livre 'Les Furtifs' d'Alain Damasio" [un roman d'anticipation qui se déroule en 2014 : les villes ont été rachetées par des multinationales et les habitants, connectés à l'aide d'une bague, sont traqués en permanence et ne peuvent circuler que dans certaines zones standard, premium et privilège, NDLR].
Une vision contrebalancée par Chantal Bernier, pour qui le projet Quayside démontre que des barrières existent et fonctionnent, que ce soit l'engagement du citoyen, les régimes juridiques sur la protection des données personnelles ou les mécanismes démocratiques. "La ville numérique ne peut se réaliser sans acceptabilité sociale, qui elle-même ne peut venir sans protection des données privées", affirme-t-elle.
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