Comment Montréal est devenu un des leaders de l’intelligence artificielle
Montréal, la métropole québécoise, voit affluer les centres de recherche en intelligence artificielle des grandes entreprises mondiales depuis plus d’un an. Le fruit d’une stratégie collaborative entre les milieux universitaires, les entreprises et les gouvernements. Reportage.
Le Super Bowl de l'intelligence artificielle. C’est par cette référence au championnat de football américain qu’un quotidien québécois a qualifié la conférence NeurIPS (pour Neural Information Processing Systems) qui se déroulait du 2 au 8 décembre dernier, à Montréal. La plus grande conférence mondiale sur l’intelligence artificielle (IA) réunissait en effet, pour sa 32e édition, 8 000 experts du sujet, dont les plus grands spécialistes mondiaux. Preuve de l’engouement pour l’événement : les tickets pour y assister se sont arrachés... en seulement quelques minutes !
La désignation de Montréal comme ville hôte de cette conférence est tout sauf un hasard, tant la métropole québécoise est à la pointe en la matière. Trois entreprises britanniques en IA, QuantumBlack, WinningMinds et BIOS, ont d’ailleurs profité de l’occasion pour annoncer l’ouverture de bureaux sur les bords du Saint-Laurent, représentant 130 emplois d’ici les trois prochaines années.
Elles s’ajouteront ainsi aux nombreux géants du numérique, déjà présents sur place. Google, IBM, Facebook, Samsung... tous y ont ouvert au cours des deux dernières années un laboratoire en IA. Sans oublier Microsoft, qui a racheté l’an passé la start-up montréalaise en apprentissage profond, Maluuba, l’américain Techstars qui y a lancé son accélérateur en IA ou encore les entreprises françaises Thalès et Havas qui y ont installé leur centre d’innovation en IA.
La quête des “talents” montréalais
"Depuis un an et demi, l'intelligence artificielle est devenue le meilleur argument de vente pour attirer des entreprises étrangères à Montréal", expliquait récemment au quotidien la Presse Stéphane Paquet, le vice-président aux investissements étrangers de Montréal International, l’organisme de promotion économique de la métropole. "L’IA représente plus de 500 millions $ (328 M€) d’investissement en deux ans pour Montréal, alors que cela n’existait pas il y a quelques années encore !", renchérit Hubert Bolduc, le PDG de Montréal International.
La raison de cette attractivité soudaine ? "Les talents", répondent en choeur les acteurs locaux. "On est un pôle privilégié pour ceux qui veulent se faire former par les meilleurs professeurs en la matière", assure Alexandre Le Bouthillier, un entrepreneur montréalais qui est revenu d’Europe pour fonder sa nouvelle start-up, Imagia, qui se sert de l’IA pour faire des diagnostics médicaux. "Avant, on disait que les talents suivaient les investissements. Aujourd’hui, ce sont les investissements qui suivent les talents", résume Hubert Bolduc.
Selon Montréal International, la métropole québécoise compte ainsi plus de 300 chercheurs et étudiants en doctorat dans les domaines liés à l’IA, près de 11 000 étudiants inscrits à un programme universitaire spécialisé en IA et en traitement des données pour, au final, près de 93 000 emplois en lien avec l’IA.
Une communauté rassemblée grâce au Pr. Yoshua Bengio
Valérie Plante, mairesse de Montréal (en rouge sur la photo), et le Pr. Yoshua Bengio (à sa droite) - ©Kévin Deniau
Cette excellence académique s’explique en grande partie par l’influence d’un homme : Yoshua Bengio. Avec le chercheur torontois Geoffrey Hinton et le Français Yann Le Cun, il est considéré comme l’un des pères de l’intelligence artificielle moderne, en tant que pionnier de l’apprentissage profond (deep learning). Le premier a été embauché par Google, le deuxième par Facebook. Yoshua Bengio, né à Paris de parents marocains mais arrivé à Montréal à l’âge de 12 ans, lui, a eu un autre rêve : faire de sa ville d’adoption une Silicon Valley de l’intelligence artificielle.
"C’est la ville où j’ai construit ma vie et mes racines, mais c’est aussi un endroit où il y a des valeurs avec lesquelles je suis en phase", raconte à l’Usine Digitale celui qui a refusé beaucoup d’autres propositions bien plus lucratives. "Les changements provoqués par l’intelligence artificielle vont avoir des coûts sociaux, notamment au niveau de l’emploi. Il faut donc que la richesse créée par l’IA ne s’accumule pas à un seul endroit, comme la Chine ou la Silicon Valley, mais profite à un plus grand nombre."
“Yoshua Bengio, c’est un immense chercheur, mais c’est aussi un pouvoir d’attraction très important auprès de professeurs et d’experts en IA”, constate Siegfried Usal, le Directeur Général de CortAIX, le centre mondial d’Intelligence Artificielle de Thalès qui a opté pour Montréal l’an dernier.
Décrit comme une sommité scientifique ou une "rock star", l'infatigable Yoshua Bengio est, entre autres, le fondateur de l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal, le Mila, le plus grand centre de recherche universitaire dans le monde, dans le domaine de l’apprentissage profond. Mais aussi d’une start-up, Élément AI, un fournisseur de solutions en intelligence artificielle qui a levé 137,5 M$ (90 M€) l’année passée et qui compte près de 500 salariés.
Les succès de la collaboration public-privé
"Le Québec se démarque par cet esprit de collaboration entre universités, étudiants, scientifiques et industries, analyse Jean-François Gagné, le co-fondateur et PDG d’Élément AI. C’est ce qui nous permet d’être toujours à la pointe des idées et de connaître les travaux des chercheurs, parfois avant même qu’ils soient publiés".
Une culture de la collaboration dont témoigne par exemple l’Institut de valorisation des données (Ivado) qui rassemble près d’un millier de chercheurs et une trentaine d’entreprises. S'ajoute à cela l’implication importante des pouvoirs publics fédéraux (le Canada s’est doté d’un plan stratégique sur l'IA doté de 125 M$, soit 82 M€, notamment pour la création de 14 chaires de recherche en IA à Montréal) et provinciaux (100 M$, soit 65 M€, ont été dédiés à la création d’une grappe d’innovation québécoise en AI). Tous les ingrédients du cluster technologique sont ainsi réunis pour enclencher le cercle vertueux suivant, énoncé par Hubert Bolduc : "Le talent attire le talent, les investissements attirent les investissements".
Un écosystème en gestation rapide
"Sans oublier la question de la qualité de vie, Montréal est une des seules métropoles nord-américaines où il est encore abordable de se loger en centre-ville, plaide aussi Valérie Plante, la mairesse de la ville, interrogée par l’Usine Digitale. De plus en plus, les investisseurs choisissent de s’installer là où leurs employés vont être heureux parce que la concurrence est aussi forte pour attirer que pour retenir ses talents, surtout dans l’IA."
Un constat partagé par Siegfried Usal de CortAIX : "On avait regardé pour s’implanter dans la Silicon Valley, à Boston ou d’autres bassins, mais il y aurait eu beaucoup plus de barrières à l’entrée en termes de coût d’attraction, de rétention et de développement futur. L’expérience à Montréal est tout à fait conforme à nos espérances : nous avons réussi à recruter une trentaine de haut calibre en peu de temps, nous avons rapidement réussi à enclencher des collaborations avec le milieu académique et nos premiers résultats concrets sont très positifs."
CortAIX fut d’ailleurs un des premiers locataires de la toute récente cité de l’intelligence artificielle, bâtie dans une ancienne usine textile de 35 000 m2, dans le quartier du Mile-Ex. Le bâtiment regroupe également le Mila, l’Ivado, Élément AI et une vingtaine de laboratoires d’entreprises. "Avec une telle concentration d’experts en IA, on passe de 10 minutes en voiture à 10 secondes de marche pour pouvoir échanger des idées !", sourit Alexandre Le Bouthillier. "Je ne m’attendais pas à un développement aussi rapide de l’écosystème", confie pour sa part Yoshua Bengio.
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