Le DG d’Uber France défend son modèle... et admet quelques maladresses

Le 19 juin, Thibaud Simphal, DG d’Uber France, recevait L’Usine Digitale dans les nouveaux locaux de l’entreprise dans le nord de Paris. Il évoquait déjà les virulentes critiques faites à l’entreprise et développait sa stratégie en France et sa vision de l’évolution du travail.

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Dans le monde entier, Uber ce serait le côté obscur du numérique. Partout, l’entreprise fait face autant à des taxis en colère qu’à des gouvernements qui considèrent qu’il passe outre le droit. "C’est épuisant de répondre en permanence à des critiques," avoue Thibaud Simphal, le jeune patron d'Uber France en poste depuis avril 2014. D’autant que, selon lui, quand d’autres géants du numérique sont attaqués sur des questions de protection de données personnelles, de fiscalité ou d’abus de position dominante, Uber est devenu la cible sur absolument tous les sujets.

Thibaud Simphal, Directeur général d'Uber France

UNE COMMUNICATION À REVOIR

Certes, Thibaud Simphal reconnaît que la communication très abrupte des dirigeants d’Uber n’a pas arrangé la situation et "qu’il faut arrondir les angles". La stratégie de l'entreprise de VTC en la matière a d’ailleurs été pointée du doigt dans Wired par Richard Branson en personne. Pour le patron de Virgin - qui compare Uber au Microsoft de la grande époque - être le meilleur techniquement et savoir opérer son activité ne suffisent pas à réussir sur le long terme, il faut aussi savoir se faire aimer, en tant qu’entreprise !

À Paris, où Uber a installé son siège européen, Thibaud Simphal y travaille en communiquant surtout sur la création d’emplois : "Ici, nous sommes 60 personnes avec une centaine d’intérimaires pour le support, en attendant de futurs recrutements. Nous devrions approcher 300 personnes d’ici 2 ou 3 ans." Et pour tenter de redorer l’image de l'entreprise, il vante son attractivité : "Tous les dirigeants français sont revenus volontairement de l’étranger pour rejoindre Uber". À croire qu’ils avaient entendu avant l’heure l’appel "Reviens Léon", lancé par Frédéric Mazzella, patron de Blablacar, pour faire revenir les talents français !

Davantage UNE ENTREPRISE LOGISTIQUE QUE NUMÉRIQUE

Dans l’ancien entrepôt qui héberge les bureaux d’Uber France trônent un tableau noir, un babyfoot, des canapés, un hamac... Autant de signes intérieurs d’appartenance au monde numérique. Pourtant, Thibaud Simphal réfute cette idée. "La high-tech, les apps et leur backoffice, sont indispensables. Mais en effectifs, en valeur créée, cela ne représente que 30 à 40% d’Uber. Nous sommes une entreprise hybride, technologique et logistique." Pour preuve, le patron français raconte comment le service se déploie dans l’Hexagone, ville par ville.

Pas question de simplement piloter depuis Paris l’inscription de chauffeurs à Bordeaux ou à Lille. Uber installe de deux à six personnes dans chaque ville pour recevoir les chauffeurs, leur expliquer le service, les accompagner... "Comme le répète à raison Frédéric Mazzella, une plate-forme ne marche que si elle dispose d’une certaine liquidité", rappelle Thibaud Simphal. Comprenez un nombre suffisant de chauffeurs avec véhicule et de clients potentiels. "Cela représente des investissements, précise le dirigeant. Nous distribuons des prospectus et nous ouvrons de petits centres d’accueil pour nos chauffeurs. Nous devrions en avoir une dizaine à terme. Le contact humain est essentiel !"

Après Paris, Lille, Bordeaux et récemment Nantes, Strasbourg et Marseille, Thibaud Simphal aimerait ouvrir le service dans toutes les villes de plus de 100 000 ou 200 000 habitants. Uber France étudie aussi, avec de potentiels partenaires, la livraison de colis et de repas fraîchement préparés, comme aux États-Unis. Les services devraient apparaître d’ici 6 à 18 mois. En revanche, pour les véhicules autonomes, si la technologie est prête, Thibaud Simphal estime qu’avec "les questions de réglementation et l’adaptation des comportements, il faudra encore attendre 3 à 5 ans."

EMPLOYÉ OU PAS ?

Restent les très sensibles questions de l’emploi et du statut des chauffeurs Uber : simples partenaires ou employés ? Dans une plainte qui oppose l’entreprise à un chauffeur de San Francisco, la commission du travail de Californie a statué qu’il était bien un employé. Une class action dans le même État vise le même objectif, arguant que les chauffeurs sont traités comme des employés au niveau des contraintes sans obtenir ni couverture sociale ni remboursement de frais.

"Il ne faut pas comparer avec l’Europe, insiste Thibaud Simphal. En France, les autoentrepreneurs et les chômeurs disposent d’une couverture sociale. Les indépendants américains n’ont aucune couverture !" Il ajoute que les chauffeurs touchent 80 % du prix d’une course, ce qui couvre, selon lui, les frais d’essence, d’entretien... "Et nous avons des partenariats avec des banques pour des crédits automobiles pour nos chauffeurs, avec des assureurs, avec des stations de nettoyage, etc." À la suite des agressions survenues de certains de ses chauffeurs à Marseille et à Nantes, Uber a pris la décision de rembourser les frais d’avocats des individus concernés. La plupart a porté plainte.

"L’obsession d’un chauffeur Uber X (le service de VTC, ndlr) c’est d’avoir de l’argent pour vivre et de ne plus avoir peur du lendemain, assure-t-il. Ce n’est pas une question de CDI versus CDD, mais bien d’avoir une opportunité de travailler. Pour la personne, il ne s’agit plus de décrocher un contrat lié à emploi, mais d’obtenir un travail, qui ne pourra pas être délocalisé et qui lui rapportera 2000 euros nets mensuels." Thibaud Simphal en est convaincu et il travaille avec l’Institut de l’entreprise et des économistes pour le démontrer : "Il ne s’agit certes pas de proposer un emploi classique, mais de fournir des opportunités à des gens qui n’en avaient pas. Pour 80 % de nos chauffeurs, c’est le cas."

"ENTRE 1600 et 2500 EUROS NETS MENSUELS"

Sur UberPop — qui permet à tout un chacun de jouer au chauffeur quand il le souhaite — les chauffeurs sont généralement des étudiants ou des retraités, qui ont envie de s’occuper et de compléter leurs revenus. "Sur Uber-X, ce sont plutôt des gens éloignés de l’emploi ou entre deux missions d’intérim. Il y a aussi des chômeurs, des personnes avec des jobs précaires et des gens issus de l’immigration de 2e et 3e génération." A Paris, le patron d’Uber ajoute que de nombreux chauffeurs sont des conducteurs de bus ou de métro, des gendarmes, des policiers, des militaires.

"Nous pouvons garantir qu’avec 40 à 45 heures de travail en moyenne sur 48 semaines, un chauffeur gagne entre 1600 et 2500 euros nets mensuels." Malgré tout, Thibaud Simphal ne pense pas que les plates-formes numériques prospèrent sur le terreau de la crise économique et du chômage. Selon lui, Uber, "c’est le choix ne plus être propriétaire de son véhicule d’une part et de préférer combiner plusieurs activités en toute liberté, d’autre part."

UBER dope lES VENTES DE LA PEUGEOT 508 ?

Enfin, la plate-forme créerait aussi de nouveaux revenus en France, à travers les charges sociales et les cotisations qu’elles paient pour ses employés et les impôts que ses chauffeurs paient à l’État, mais pas seulement. "Plus de 60% de nos chauffeurs ont des voitures françaises, souvent des Peugeot 508, des Citroën C5 ou des Toyota Prius (dont le constructeur a des usines en France, ndlr)", insiste Thibaud Simphal. De nouvelles activités se créent également dans son sillage : "Des loueurs de voitures spécialisés dans les VTC apparaissent comme Voitures Noires ou DriveForme", observe le dirigeant. Il va néanmoins en falloir plus pour changer l'image de l'entreprise.

Qui est Thibaud Simphal ?
Thibaud Simphal a pris la tête d’Uber France en avril 2014. Né en Champagne, "à la campagne" précise-t-il, il a développé plusieurs start-up. Il avait lancé une activité similaire à celle d’Uber en Grande-Bretagne, avant même l’Américain. Il a aussi travaillé à la Commission Européenne sur des dossiers comme celui qui a opposé les Etats-Unis et l’Europe au sujet des aides publiques à Airbus et Boeing. Passionné de droit du travail, il défend le modèle de son entreprise encore récemment malmené en Californie, comme une évolution naturelle et indispensable.

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